Carandiru : Beauté assassinée
Cinéma

Carandiru : Beauté assassinée

Impossible d’identifier avec certitude l’élément déclencheur de l’émeute. Malentendu lors d’une joute de soccer? Refus d’honorer une dette? Corde à linge surencombrée? La vie suivait son cours normal dans l’immense prison de São Paulo. Jusqu’à ce que soit donné l’ordre d’assaut.

Brésil, début des années 90. Quinze millions de personnes habitent la grande région de São Paulo, métropole économique d’un pays en mal de prospérité. À l’époque, 7000 détenus sont incarcérés à Carandiru, presque le double de sa capacité, autre manifestation de la tragédie sociale brésilienne. "Encore aujourd’hui, on retrouve dans les grandes villes du Brésil un taux de criminalité infiniment supérieur à la plupart des capitales du monde", explique le cinéaste Hector Babenco, argentin d’origine à qui l’on doit notamment Pixote (1980), The Kiss of the Spider Woman (1985), Ironweed (1987) et Foolish Heart (1998). "Il est devenu très dangereux d’y vivre étant donné le clivage démesuré entre ceux qui possèdent tout et ceux qui n’ont absolument rien. Même aujourd’hui, avec un gouvernement travailliste et un homme issu des classes défavorisées à la tête du pays, il semble impossible d’amener la société à mieux répartir les bénéfices et à améliorer la qualité de vie des gens totalement marginalisés…"

Ces colorés marginaux et le saisissant microcosme social qu’ils formaient dans la plus grande prison d’Amérique latine sont le point central du film de Babenco, inspiré du livre Estaçao Carandiru de l’auteur et médecin Drauzio Varella. "Ma relation avec ce livre est très unique, confie le réalisateur. L’homme qui l’a écrit est un oncologue qui étudiait l’évolution du sida dans cet énorme pénitencier, et qui était aussi devenu mon médecin. Il était très emballé par tous ces personnages qu’il rencontrait et il avait l’habitude de me raconter leurs histoires, de me décrire leurs traits de personnalité, l’atmosphère de l’endroit, la joie de vivre des locataires, et comment, dans ces conditions, ils géraient leurs relations familiales ou vivaient avec ce qu’ils avaient pu faire de mal… Je lui ai donc demandé pourquoi il n’écrirait pas ces histoires, pour au moins en conserver une trace ou les faire connaître. Et lorsque j’ai été complètement guéri de ma maladie (un type de lymphome, une prolifération cancéreuse dans le tissu lymphoïde) en 1999, le livre était chez les libraires. Après l’avoir lu au complet, même si j’en connaissais déjà la majeure partie, j’ai tout de suite senti qu’il y avait quelque chose à en tirer; à mes yeux, le film se trouvait déjà à l’intérieur du livre…"

Le long métrage de 146 minutes s’articule autour des visites que reçoit le docteur, au gré de retours en arrière plongeant le spectateur au cœur de la vie et des mauvais coups des détenus, dépeignant davantage l’humour et l’humanité des protagonistes que leur détresse psychologique ou leur violence intrinsèque. "Je montre ce que j’ai vu dans les centres de détention au Brésil, assure Babenco. La teinte des murs, la cordialité des prisonniers, les couleurs vives de leurs vêtements. Le fait d’être emprisonné, au sud de l’équateur, n’implique pas nécessairement les mêmes types de problèmes que vous retrouvez dans le Nord…" Mais le 2 octobre 1992, tout bascule. Pour une raison indéterminée, une émeute éclate, précipitant l’arrivée de la police militaire. Après négociations, l’ordre semble rétabli, mais le colonel Ubiratan Guimaraes est d’avis contraire et ordonne l’assaut: 325 policiers investissent les lieux et plus de 500 projectiles sont tirés en 30 minutes. Bilan: 111 victimes, toutes des prisonniers.

Avec ce film, Babenco met en relation étroite les sentiments de rédemption et de culpabilité, tant pour les détenus que pour les auteurs du massacre, dont l’instigateur serait encore libre aujourd’hui. "Y a-t-il un remède contre la culpabilité? – S’il y en avait un, tout le monde en voudrait", peut-on entendre dans le film. "Je ne pense pas qu’il y ait de remède contre la culpabilité autrement qu’en révisant sa propre conscience et en réfléchissant aux actions posées, avance Babenco. Je ne crois pas en la religion, ni en la médecine; je crois exclusivement en notre capacité de comprendre ce que l’on fait et surtout, pourquoi on fait ce que l’on fait…"

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