Je t’aime… moi non plus : Cinéma, je t’ai dans la peau
Cannes, 2002, Maria de Medeiros interroge bon nombre de réalisateurs et de critiques de cinéma afin qu’ils dévoilent au grand public leur histoire d’amour impossible.
Au dire du suave Pedro Almodovar, les critiques de cinéma ne sont que des réalisateurs frustrés. À preuve, pas un enfant ne rêve de devenir critique lorsqu’il sera grand. Qu’en savez-vous, très cher Pedro? Sans doute y a-t-il des frustrés parmi la faune journalistique – et partout ailleurs, par le fait même! -, mais ne croyez-vous pas que certains deviennent critiques pour la même raison que d’autres consacrent leur vie à la réalisation: par cinéphilie? Tout simplement? Toutefois, ce commun amour pour le septième art tient souvent lieu de champ de bataille pour les artistes et les critiques, ces derniers possédant le moyen d’encenser ou de couler une œuvre d’un seul coup de plume. Mais les plus tumultueuses amours ne sont-elles pas aussi les plus belles?
Séparé en plusieurs volets dont les titres s’inspirent du code amoureux (La Rencontre, Le Désir, L’Attente, etc.), Je t’aime… moi non plus, premier documentaire de Maria de Medeiros, qui a reçu plusieurs prix pour son film Capitaines d’avril, présente une suite ininterrompue, pour ne pas dire essoufflante, de témoignages d’illustres réalisateurs (Manoel de Oliveira, David Cronenberg, Ken Loach…) et de critiques de cinéma (Jean-Michel Frodon des Cahiers du cinéma – de loin le plus sensé et plus sympa des nombreux intervenants -, Serge Kaganski des Inrockuptibles et Todd McCarthy du Variety…). Comme documentaire, on a déjà vu plus recherché sur le plan de la forme; en revanche, on ne pourra pas dire qu’il n’y a pas matière à réflexion tant les points de vue divergent dans un camp comme dans l’autre. Et c’est là que réside la grande qualité de Je t’aime…, celle de respecter les opinions de tout un chacun, tout en mettant en lumière les différences culturelles. De fait, on remarquera, bien que cela soit un secret de Polichinelle, que les Américains semblent plus conciliants que les Français, ceux-là très intransigeants.
Au centre des réflexions et interrogations sérieuses, quelques anecdotes s’avèrent croustillantes, telle celle d’Alexander Walker qui raconte qu’un jour, Ken Russell, réalisateur incompris, l’a giflé sur un plateau de télé en direct. D’autres sont assez hilarantes: imaginez, Henri Béhar de Libération s’apprêtait à analyser la scène d’un film, qu’il trouvait de loin la plus belle, lorsque ses collègues lui ont révélé qu’il l’avait entièrement rêvée – que voulez-vous, quand on se tape trois ou quatre films dans la même journée en temps de festival, force est d’admettre qu’on en perd des bouts…
Bien qu’éclairant sur plusieurs points, jamais le documentaire de l’actrice portugaise ne s’intéressera au fait que peu de femmes exercent le métier de réalisateur ou de critique, alors qu’elles sont légion chez les attachés de presse, qui ont à gérer les caprices des artistes et des journalistes. Aussi, on remarque l’absence d’un autre acteur important dans tout ce débat: le lecteur. À quoi cela servirait-il d’écrire si personne, en dehors des créateurs, ne prenait la peine de lire les critiques? Par ailleurs, on se serait bien passé des interventions vaseuses et exaspérantes du psychanalyste Gérard Wajcman, qui vient briser le côté ludique de ce documentaire fort révélateur. Une chose est sûre: en voyant la sensibilité à fleur de peau de ces créateurs, l’on pèsera bien ses mots la prochaine que l’on aura à faire la critique d’un film québécois, sans pour autant sombrer dans la complaisance, car cela n’aiderait en rien ni les créateurs ni les cinéphiles (pour les films américains, alors là, c’est une tout autre histoire!). Bien qu’ici aucun critique ne puisse se targuer d’avoir droit de vie ou de mort sur une œuvre, les relations ne sont pas toujours au beau fixe entre les deux camps. Au fait, que diriez-vous d’une version québécoise de Je t’aime… moi non plus?
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