Maria de Medeiros : Cinéma, je t'ai dans la peau
Cinéma

Maria de Medeiros : Cinéma, je t’ai dans la peau

Cannes, 2002, Maria de Medeiros interroge bon nombre de réalisateurs et de critiques de cinéma afin qu’ils dévoilent au grand public leur histoire d’amour impossible. Entretien avec la réalisatrice.

Au dire du suave Pedro Almodovar, les critiques de cinéma ne sont que des réalisateurs frustrés. À preuve, pas un enfant ne rêve de devenir critique lorsqu’il sera grand. Qu’en savez-vous, très cher Pedro? Sans doute y a-t-il des frustrés parmi la faune journalistique – et partout ailleurs, par le fait même! -, mais ne croyez-vous pas que certains deviennent critiques pour la même raison que d’autres consacrent leur vie à la réalisation: par cinéphilie? Tout simplement? Toutefois, ce commun amour pour le septième art tient souvent lieu de champ de bataille pour les artistes et les critiques, ces derniers possédant le moyen d’encenser ou de couler une œuvre d’un seul coup de plume. Mais les plus tumultueuses amours ne sont-elles pas aussi les plus belles?

Y a-t-il eu une critique ou un événement particulier qui a déclenché votre projet? "Je crois que l’idée est venue de façon très diffuse et non à la suite de quelque chose de très précis ou à un traumatisme quelconque, explique Maria de Medeiros, qui s’est beaucoup inspirée du travail de journaliste de sa mère. C’est vrai qu’en se réunissant avec des amis du milieu du cinéma, très vite la conversation porte sur les relations tumultueuses entre les artistes et la critique, surtout en France où il y a une grande tradition polémique. C’est une relation qui m’a toujours amusée parce qu’elle est excessive comme les histoires d’amour. En réfléchissant sur le sujet, je me suis dit que c’était l’occasion d’aborder la manière dont on reçoit et critique une œuvre d’art. À l’origine, je voulais traiter de tous les arts, mais très vite, j’ai eu tellement d’heures de matériel en cinéma, les réalisateurs comme les critiques aimant beaucoup parler, que j’ai décidé de prendre le cinéma comme paradigme de tous les autres arts."

Séparé en plusieurs volets dont les titres s’inspirent du code amoureux (La Rencontre, Le Désir, L’Attente, etc.), Je t’aime… moi non plus, premier documentaire de Maria de Medeiros, qui a reçu plusieurs prix pour son film Capitaines d’avril, présente une suite ininterrompue, pour ne pas dire essoufflante, de témoignages d’illustres réalisateurs (Manoel de Oliveira, David Cronenberg, Ken Loach…) et de critiques de cinéma (Jean-Michel Frodon des Cahiers du cinéma – de loin le plus sensé et le plus sympa des nombreux intervenants -, Serge Kaganski des Inrockuptibles et Todd McCarthy du Variety…). Comme documentaire, on a déjà vu plus recherché sur le plan de la forme; en revanche, on ne pourra dire qu’il n’y a pas matière à réflexion tant les points de vue divergent dans un camp comme dans l’autre. Et c’est là que réside la grande qualité de Je t’aime…, celle de respecter les opinions de tous et chacun, tout en mettant en lumière les différences culturelles. De fait, on remarquera, bien que cela soit un secret de Polichinelle, que les Américains semblent plus conciliants que les Français, ceux-là très intransigeants.

Au centre des réflexions et interrogations sérieuses, quelques anecdotes s’avèrent croustillantes, telle celle d’Alexander Walker qui raconte qu’un jour, Ken Russell, réalisateur incompris, l’a giflé sur un plateau de télé en direct. D’autres sont assez hilarantes: imaginez, Gérard Lefort de Libération s’apprêtait à analyser la scène d’un film de Tarkovsky, qu’il trouvait de loin la plus belle, lorsque ses collègues lui ont révélé qu’il l’avait entièrement rêvée – que voulez-vous, quand on se tape trois ou quatre films dans la même journée en temps de festival, force est d’admettre qu’on en perd des bouts…

Bien qu’éclairant sur plusieurs points, le documentaire de l’actrice portugaise s’intéressera trop brièvement au fait que peu de femmes exercent le métier de réalisateur ou de critique, alors qu’elles sont légion chez les attachés de presse, qui ont à gérer les caprices des artistes et des journalistes. Aussi, on remarque l’absence d’un autre acteur important dans tout ce débat: le lecteur. "J’y ai beaucoup réfléchi, car effectivement, cela peut être vu comme un ménage à trois. D’ailleurs, cela m’étonne que le lecteur reste intéressé par cette relation qui est très violente pour le metteur en scène parce qu’elle est à la fois très intime et publique. Enfin, je dirais que le lecteur remet un équilibre dans tout cela en critiquant le réalisateur et le critique."

Par ailleurs, on se serait bien passé des interventions vaseuses et exaspérantes du psychanalyste Gérard Wajcman, qui vient briser le côté ludique de ce documentaire fort révélateur. Une chose est sûre: en voyant la sensibilité à fleur de peau de ces créateurs, l’on pèsera bien ses mots la prochaine fois que l’on aura à faire la critique d’un film québécois, sans pour autant sombrer dans la complaisance, car cela n’aiderait en rien ni les créateurs ni les cinéphiles (pour les films américains, alors là, c’est une tout autre histoire!). Une chose s’avère rassurante: bien que les relations ne soient pas toujours au beau fixe entre les deux camps, aucun critique ne peut se targuer d’avoir droit de vie ou de mort sur une œuvre. Selon vous, la critique est-elle importante? "Je suis d’accord avec ceux, comme Jean-Michel Frodon, qui disent dans mon film que la critique est un exercice démocratique, même quand elle est éminemment injuste, car ça demeure de la liberté d’expression. Comme le dit Wim Wenders et beaucoup d’autres, il y a un exercice de déchiffrage qui est fait par la critique; il y a aussi Elie Suleiman qui avance que le critique est parfois un "remaker"."

Croyez-vous que le grand public trouvera son compte dans ce débat dont il est exclu? "Si l’on est chez le coiffeur et que la voisine parle d’une histoire d’amour, on ne peut pas s’empêcher de tendre l’oreille vers une histoire passionnelle, même lorsqu’on ne connaît pas les gens. J’ose espérer que ce sera la même chose pour mon documentaire!" termine la réalisatrice en riant. Au fait, que diriez-vous d’une version québécoise de Je t’aime… moi non plus?

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