Silent Waters : Eaux troubles
Premier film de la réalisatrice d’origine pakistanaise Sabiha Sumar, Silent Waters ébranle, sensibilise et bouleverse à la fois.
Dans l’objectif de souligner de façon quelque peu polémique le cinquantième anniversaire de l’indépendance du Pakistan et de l’écroulement de l’empire des Indes britanniques, la cinéaste pakistanaise Sabiha Sumar eut d’abord l’idée, en 1996, de réaliser un documentaire relatant les violences subies par les femmes au moment de la création des deux états de l’Inde et du Pakistan en 1947. Or, malgré les efforts déployés par la réalisatrice pour retracer et rencontrer ces femmes susceptibles d’avoir vécu les brutalités de l’histoire, elle a plutôt dû se contenter d’affronter leur silence; un mutisme que seul le traumatisme de la guerre peut avoir occasionné, car pour elles et eux tous, les mots ne peuvent réussir à traduire l’horreur vécue. Loin de considérer cet état de fait comme un échec, Sabiha Sumar n’abandonne pas et se convainc de l’absolu nécessité de raconter l’effroyable et l’infamie, et puisse la fiction le faire aussi bien qu’un documentaire.
C’est dans ce contexte qu’origine le troublant Silent Waters, une histoire fictive qui n’en demeure pas moins imaginée à partir et autour de faits authentiques. Ce premier film de la réalisatrice nous transporte en 1979 dans un petit village agricole pakistanais. Ayesha (admirable et touchante Kirron Kher), une mère musulmane dont le douloureux passé semble toujours hanter un quotidien qu’elle souhaite dorénavant paisible et soulagé des violences d’autrefois, s’inquiète de l’intérêt soudain de son fils adolescent Salim (débutant et prometteur Aamir Malik) pour un groupe de fondamentalistes islamistes installé depuis peu au village. Tout en étant témoin impuissante de l’intolérance grandissante de son fils envers ceux qu’il identifie désormais comme des impurs et des incroyants, ainsi que de l’influence malsaine qu’exerce sur lui le petit groupe de fondamentalistes, Ayesha replonge dans un passé déchirant dans lequel le fanatisme aveugle de ses semblables n’avait d’égale que la barbarie des autres.
Malgré son projet de documentaire avorté, Sabiha Sumar réussit avec Silent Waters à donner enfin une parole à ces femmes survivantes qui furent autrefois doublement menacées par l’honneur assassin de leur famille qui préféra les pousser au suicide plutôt que de les voir violées ou achetées par un ennemi habité d’un esprit d’épuration religieuse et ethnique. Le récit de Silent Waters se concentre peut-être presque exclusivement sur la difficile relation d’une mère et de son fils, il laisse néanmoins apparaître les blessures du passé que le temps ne réussira probablement jamais à cicatriser. Ce tremblement du temps est d’autant plus terrifiant que le fils d’Ayesha, soudainement animé à son tour par une étroite idée de l’honneur religieuse, semble à lui seul invalider les leçons de l’histoire. Un tremblement dont les secousses résonnèrent et résonnent encore jusqu’à nous, aujourd’hui. Silent Waters a ceci d’admirable qu’il laisse s’exprimer sous les traits domestiques du drame familial l’universelle tragédie de ces femmes de la guerre, lesquelles souffrent toujours d’un honneur dont elles sont les premières victimes. Un film à voir pour mieux comprendre.
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