Coffee and Cigarettes : Enfilade d’espressos
Coffee and Cigarettes décevra peut-être un peu ceux qui attendaient un "vrai" nouveau Jim Jarmusch. Pour les autres, il est gage de plaisir assuré.
Ce prétendu long métrage est en fait une mosaïque de courts métrages inégaux ayant tous comme fil conducteur, vous l’aurez deviné, le café et les cigarettes. Ce n’est peut-être pas un grand Jarmusch, mais nous retirons néanmoins un réel plaisir à retrouver l’univers absurde, déluré et tendre du cinéaste, ainsi que sa bande de copains (Tom Waits, Roberto Benigni, Alfred Molina, Iggy Pop et autres) qui semblent prendre leur pied autant que nous.
Presque tous les sketchs se déroulent dans un petit café ou un restaurant de quartier dont on ne voit rien d’autre que la table où sont assis les protagonistes et le décor immédiat qui les entoure. Quelques secondes suffisent pour établir rapidement l’atmosphère: un vieux juke-box, des fleurs en plastique, un mur en simili-bois, un divan blanc immaculé, etc. Grâce à une façon constante de cadrer, à une utilisation systématique d’une pellicule noir et blanc granuleuse (rappelez-vous Down By Law) et à des détails récurrents, comme les tables toujours en damier noir et blanc, le film se révèle d’une grande homogénéité.
Chose étonnante lorsqu’on sait qu’il s’est construit sur plus de 15 ans. La première séquence a été tournée en 1986 pour l’émission de télévision Saturday Night Live; Roberto Benigni et Steven Wright y tiennent les rôles de deux personnages shootés aux espressos, complètement loufoques. Ce sketch désopilant, parmi les meilleurs, a été projeté dans de nombreux festivals. En 1989, alors que Jarmusch est à Memphis pour le tournage de Mystery Train, il crée la deuxième séquence avec Steve Buscemi et les jumeaux Cinqué Lee et Joie Lee (frère et sœur de Spike Lee). Dans un boui-boui crasseux, le serveur (Buscemi) tente de prouver aux jumeaux la véracité de sa théorie concernant Elvis: celui-ci avait un frère jumeau et c’est lui qui était gros et quétaine… En 1992, le cinéaste tourne en Californie le troisième sketch réunissant Tom Waits et Iggy Pop, qui jouent leur propre rôle avec une telle aisance qu’on les croirait en train d’improviser. Waits, musicien-docteur arrogant, et Pop, inoffensif et vulnérable chanteur, n’y ont rien à se dire et les silences deviennent de véritables bijoux d’absurdité réaliste. Ce segment a d’ailleurs remporté la Palme d’Or du meilleur court métrage au Festival de Cannes en 1993. Plus tard, deux autres séquences – plus faibles – sont tournées en un jour à New York. Puis, en 2003, Jarmusch complète son film en tournant six numéros dont nous retiendrons surtout celui, très drôle, que nous offre Bill Murray dans la peau d’un Bill Murray déchu, cruche de café à la main et tablier sale au cou.
À l’image de tous ces personnages qui défilent (notons également la présence de Jack et Meg White des White Stripes, ainsi que de GZA et RZA du Wu-Tang Clan), Coffee and Cigarettes ressemble à une courtepointe de petits films aussi étranges que charmants et témoigne de la capacité qu’a Jarmusch de faire naître la légèreté de situations parfois graves, sans cependant atteindre la profondeur de ses œuvres précédentes.
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