Les Aimants – Yves Pelletier : Pôles magnétiques
Cinéma

Les Aimants – Yves Pelletier : Pôles magnétiques

Qui aurait cru qu’Yves Pelletier, le plus bizarroïde du groupe RBO, avait le profil de l’homme rose? Entretien avec le réalisateur-scénariste de la comédie romantique Les Aimants et avec l’actrice Isabelle Blais.

Comédie romantique s’éloignant des recettes américaines, Les Aimants d’Yves Pelletier, qui s’est d’abord fait les dents au cinéma en coscénarisant avec Gabriel Pelletier la comédie d’horreur Karmina, comporte des jeux de masques qui rappellent le théâtre de Marivaux: "J’adore le théâtre de Marivaux, mais je suis loin d’être un spécialiste, se défend Pelletier. C’est en écrivant le scénario que je me suis rapidement rendu compte qu’il y avait un parallèle à faire, mais je n’ai jamais voulu m’inspirer directement de Marivaux. En fait, je voulais écrire une situation que l’on aurait pu retrouver dans un film d’époque. Mais on pourrait dire, en quelque sorte, que c’est du marivaudage contemporain. Je dirais aussi que c’est écrit à la manière d’un conte, avec des archétypes et des éléments fantaisistes. Toutefois, même si je ne vais pas dans le gros drame ou la psychologie, je tenais à ce que cela soit incarné."

À la lecture du scénario, Isabelle Blais, qui tient ici son premier rôle principal au grand écran, a également songé à Marivaux: "C’est cette ressemblance qui m’a plu dans Les Aimants, les jeux d’identité, les relations tordues et les trucs cachés. Je trouvais que c’était un beau défi à relever, car jouer du Marivaux, c’est difficile parce que l’on dit une chose alors que l’on éprouve un tout autre sentiment."

Heureux hasard
Avec l’élégance et la légèreté propres au dramaturge du 18e siècle, Les Aimants met en scène Julie (Isabelle Blais), une idéaliste naïve et romantique qui revient au Québec après cinq ans d’exil durant lequel elle a tenté de soigner une peine d’amour. Hébergée par sa sœur Jeanne (Sylvie Moreau), Julie découvre avec stupéfaction que cette dernière ne voit pratiquement jamais son fiancé Noël (David Savard), avec qui elle communique par petits messages laconiques aimantés au frigo. Pis encore, Jeanne annonce à sa cadette qu’elle s’envole pour Ottawa afin d’aller rejoindre son amant Manu (Emmanuel Bilodeau). Secondée par sa meilleure amie Marie-Ève (Geneviève Laroche), Julie se verra alors contrainte d’écrire à la place de Jeanne afin que Noël ne s’aperçoive pas de l’absence de sa future épouse. Or, Noël a également recours à un substitut, Michel (Stéphane Gagnon), le temps de mettre un terme à sa relation avec Hélène (Josée Deschênes). Bientôt, Michel sera fasciné par la beauté de Julie qui lui rappelle la Jeune Fille à la perle de Vermeer.

"En étoffant le scénario, une idée qui dormait dans mes tiroirs depuis les années 80, je me suis laissé guider par des signes et des hasards, admet le réalisateur. J’admire la peinture de Vermeer, tout ce qu’elle évoque, le choix de ses mises en scène et de ses personnages; je trouvais que cela seyait bien à l’idée des messages que les personnages s’échangent. Je ne connaissais pas Isabelle quand je lui ai offert le rôle, mais je trouvais qu’elle ressemblait à la Jeune Fille à la perle. Je me souviens de l’avoir vue sur la couverture d’un magazine dans la même position; quand je lui en ai parlé, elle m’a raconté que son chum l’avait prise en photo habillée comme la jeune fille. C’est magique! On dirait que c’est arrangé avec le gars des vues! (rires)"

Petite musique baroque
En plus du soin accordé aux décors et costumes qui évoquent les toiles de Vermeer, force est de constater que la musique tient une place importante dans Les Aimants: "J’ai fait des choix artistiques, mais qui demeurent cohérents avec l’histoire. Par exemple, j’aime beaucoup le thérémine, instrument dont joue le personnage d’Emmanuel Bilodeau; comme j’avais besoin d’un musicien et que cet instrument a un rapport avec les ondes, je trouvais que cela collait au récit, car c’est un instrument invisible qui rappelle que chaque personnage dissimule quelque chose."

Cet étrange instrument apporte également une atmosphère de film d’horreur, comme l’évoque Julie en entendant un extrait de concert – d’ailleurs, en retrouvant Isabelle Cyr dans la peau d’une claveciniste, on voit un charmant clin d’œil à Karmina -, mais surtout une dimension baroque à l’ensemble: "J’adore la musique baroque; dès le départ, j’ai demandé à Carl Bastien, qui signe la trame sonore en collaboration avec Dumas, de faire un mélange de contemporain et de baroque. Il s’est beaucoup amusé puisque c’était la première fois qu’il explorait ce genre de musique."

Soliste depuis cinq ans au sein du groupe Caïman Fu, Isabelle Blais interprète deux chansons avec Dumas, en plus de signer la ballade Je t’imagine: "C’est merveilleux, c’était la première fois que je collaborais réellement à une trame sonore. Cela ne devait pas se passer ainsi parce qu’Yves pensait depuis longtemps à Carl Bastien, mais il m’a laissé entendre que ce serait bien que je participe à la musique du film. J’étais intéressée, mais je ne voulais pas m’imposer; j’ai donc demandé à Yves d’en parler à Carl et à Dumas. Tous deux se sont montrés très ouverts; ils m’ont alors envoyé un démo où il y avait déjà une chanson interprétée par Dumas. J’ai travaillé de mon côté, puis quand je suis arrivée en studio, je leur ai proposé des trucs, même si ça me gênait un peu… Comme ils ne savaient pas quoi faire de la troisième chanson, j’ai écrit un texte et improvisé une mélodie que j’ai osé leur proposer en voyant que la porte était ouverte. C’était amusant, mais c’était aussi un hasard."

Femmes, je vous aime
Comment expliquer que celui qui a frappé l’imaginaire en incarnant des personnages aussi farfelus que l’extraterrestre Stromgol et qui a visité trois fois le Tibet ne se soit pas tourné vers le cinéma expérimental ou le documentaire plutôt que vers la comédie romantique? "Je suis rentré dans cette expérience de façon instinctive, en suivant mes impulsions, en me demandant ce que j’avais envie de faire avec cette histoire, explique Pelletier. Tout était lié au ton, je souhaitais de la discrétion et une attention dans les détails. Chose sûre, je ne voulais pas faire quelque chose de vaudevillesque. J’aime les films de James Ivory comme Remains of the Days où tous les personnages cachent leurs émotions, mais j’aime également les tartes à la crème et les claques sur la gueule! J’aime aussi beaucoup Truffaut, Rohmer et Louis Bélanger, mais je n’ai pas de modèles."

Isabelle Blais, pour sa part, est catégorique à propos de la sensibilité féminine du nouveau réalisateur: "Il savait que les gens allaient être surpris de découvrir qu’il est un être sensible et délicat. Je crois qu’il est très romantique; il s’est trahi en signant ce film-là! Je pense aussi qu’il aime les femmes, qu’il est très sensible aux femmes. Le simple fait qu’il soit attiré par Vermeer, par la finesse, les détails, la lumière de ce peintre qui prenait des années à peindre un petit tableau, en dit long sur sa sensibilité."

Enfin, entendrons-nous Yves Pelletier, à l’instar de son comparse Guy Lepage (que l’on retrouve avec André Ducharme dans Les Aimants), clamer qu’il a réalisé une vue plutôt qu’un film? "Je crois que Guy avait trouvé une formule pour dire qu’il avait fait un film de divertissement, avance l’humoriste qui tournera un documentaire sur les Inuits cet hiver. En général, le cinéma est un divertissement; je pense avoir aussi fait un film de divertissement, mais d’un autre ordre. Je me considère comme un "cinévore", donc toutes les formes de cinéma m’intéressent… en autant que cela soit bien fait!" En salle dès le 1er octobre.

Les Aimants en musique
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