Manon Barbeau : L’envers du décor
La réalisatrice Manon Barbeau propose deux documentaires, l’un ténébreux, l’autre lumineux, explorant la face cachée de deux univers que tout oppose: la prison et la ruelle.
L’année 2004 aura été inspirante pour Manon Barbeau et son équipe – Philippe Lavalette à la direction photo, Marie-France Delagrave à la prise de son et la monteuse France Pilon -, qui signent deux documentaires humains et touchants dans lesquels ils tentent d’aller au-delà des idées préconçues.
S’inscrivant dans la suite naturelle, au dire de la cinéaste, des Enfants du Refus et de L’Armée de l’ombre, réalisé et scénarisé avec des jeunes de la rue, L’Amour en pen donne la parole à des hommes qui, outre le fait d’avoir braqué, séquestré ou tué, partagent un point commun: une grande histoire d’amour. Il y a d’abord André Houde qui parle de sa difficile relation avec son père, aujourd’hui disparu, puis Michel Brisson relatant comment une jeune fille a réussi à lui apprendre à apprécier la vie. Vient ensuite l’histoire de Stéphane et de son frère cadet, qui souhaite garder l’anonymat, pour qui le fait d’être ensemble leur fait oublier qu’ils sont privés de liberté. Plus incroyable encore, l’union de Stéphane Morin et de sa conjointe, une femme qu’il a fréquentée trois jours avant d’être incarcéré pour 18 ans à cause d’un vol à main armée. Amoureux depuis 15 ans, ils ont eu trois enfants; tous les deux mois, la famille se réunit dans un logement cousu de barbelés. Entrecoupés de scènes de la vie quotidienne derrière les barreaux, les témoignages livrés sur fond noir confèrent à l’ensemble un effet de lourdeur et d’austérité. Demeurent la sincérité et la simplicité des intervenants.
À l’instar de Comptines, premier film de Barbeau, De mémoire de chat: les ruelles nous entraîne dans les ruelles de Montréal sur les traces de François Pilon, sympathique poseur de cordes à linge et témoin privilégié des petits bonheurs et malheurs de la faune – les chats comme les êtres humains – qu’il croise d’une cour à l’autre. Bien qu’elle aborde les problèmes des itinérants, de la toxicomanie et de la pauvreté, la réalisatrice préfère les ruelles ensoleillées aux ruelles mal famées. Ici, pas de récits de crimes ou d’histoires sordides, que la vie quotidienne des petites gens. De fait, ce pittoresque et charmant documentaire croque sur le vif des moments aussi magiques qu’ordinaires, telle cette altercation entre deux dames qui ne s’entendent pas sur la façon de nourrir les pigeons. Entrent également en scène Nicoletta Hazewinkel, une mystérieuse funambule qui marche sur les cordes à linge, Danny Raymond, qui discourt sur la vie en ramassant des seringues, et Étienne Lapointe, un enfant de Duplessis qui chante en latin en cherchant des trésors dans les poubelles. Se balançant entre la poésie et l’anthropologie, De mémoire de chat bénéficie de la présence de Bruno Lajeunesse, qui nous dévoile les secrets des 467 kilomètres de ruelles de Montréal. Un documentaire qui donne envie de délaisser les grandes artères et de refaire connaissance avec sa ville.
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