Mémoires affectives : Passé recomposé
Cinéma

Mémoires affectives : Passé recomposé

Mémoires affectives, film de clôture du Festival du Nouveau Cinéma, est un déroutant thriller psychologique aux accents fantastiques. Le réalisateur Francis Leclerc, Roy Dupuis et Rosa Zacharie tentent d’y voir clair…

Alexandre Tourneur (Roy Dupuis), vétérinaire portant bien la quarantaine, émerge du coma après qu’un homme mystérieux l’a débranché. À son réveil, l’homme ne reconnaît ni sa femme (Nathalie Coupal) ni sa fille (Karine Lagueux), pas plus qu’il n’arrive à se souvenir de l’accident dont il a été victime. Peu à peu, des images du passé refont surface alors que son entourage est victime de curieux trous de mémoire. Aidé de l’enquêteuse Pauline Maksoud (Rosa Zacharie), Alexandre tentera de faire la lumière sur son passé trouble.

Deuxième film de Francis Leclerc, qui avait signé l’émouvant film d’époque Une jeune fille à la fenêtre, Mémoires affectives rappelle par ses paysages hivernaux de Charlevoix, magnifiquement photographiés par Steve Asselin, les œuvres des grands cinéastes québécois, que l’on pense entre autres à Claude Jutra ou à Michel Brault: "S’il faut que je sois le porte-étendard de la saison hivernale, affirme Leclerc, je vais le devenir parce que mon prochain film se passera aussi en hiver. En fait, je me trouverais escroc de faire un film de Plateau l’été parce que je suis un gars de bois. Je filme donc ce que je connais."

Écrit par Leclerc et Marcel Beaulieu, Mémoires affectives explore le thème fascinant de la mémoire, sujet que Beaulieu avait exploité avec André Turpin dans Un crabe dans la tête, en s’inspirant de faits inexplicables, tels ces gens parlant sous hypnose une langue étrangère qu’ils n’ont jamais apprise: "Je ne crois pas que nous sommes allés dans plusieurs directions, mais nous avons voulu dépasser la petite vie d’Alexandre Tourneur. J’ai essayé de creuser un peu plus loin en exploitant la mémoire collective. Notre vie n’a pas commencé quand Champlain a fondé Québec, ça remonte à bien avant. C’est pour cela qu’on retrouve dans le film la mémoire de l’Amérindien, du chevreuil, en fait, la mémoire de tout organisme vivant."

Incarnant Pauline Maksoud, Rosa Zacharie explique: "La mémoire est un sujet fascinant, surtout pour un artiste parce qu’on travaille toujours avec notre mémoire. Pour moi, la mémoire, c’est le langage de l’esprit avec ses flashs qui apparaissent de façon chaotique dans nos moments de distraction. Plusieurs d’entre nous ont des souvenirs qui ne semblent pas leur appartenir."

"Durant le tournage, raconte Roy Dupuis, on a cherché à s’expliquer si cela se pouvait et on était porté à penser que c’était possible. On se posait des questions sur l’inconscient collectif, le cerveau global, sur les recherches qui se font sur la conscience, comme l’histoire de cette jeune fille qui possédait la mémoire d’un soldat japonais mort durant la Première Guerre mondiale. C’est fantastique, mais juste assez plausible… en autant qu’on ait l’esprit ouvert." Alors, que l’on soit attentif, car le scénario regorge de revirements inattendus qui dérouteront à coup sûr.

Je me souviens

La mémoire archaïque, élément qui a séduit Roy Dupuis, est apparue durant la dernière étape de l’écriture: "J’ai un côté évolutionniste, avoue l’acteur, et je trouve important de ne pas oublier une fois de temps en temps d’où l’on vient, car si l’on veut évoluer, on doit réfléchir sur nos actes passés." Toutefois, le but avoué de Leclerc n’était pas nécessairement de rendre hommage aux Premières Nations, mais d’exploiter plusieurs pistes afin de dérouter le spectateur et, si possible, de faire réfléchir sur la perte de mémoire, notamment sur l’impact que cela crée dans l’entourage de l’amnésique.

Pour Roy Dupuis, aborder le personnage d’Alexandre s’avérait un défi complexe comme il les aime: "Alexandre se souvient de tous les aspects techniques de la vie, mais il a perdu toute mémoire affective, d’où son sentiment de culpabilité envers ses proches; il se souvient de s’être marié sans se rappeler sa femme. Au départ, je devais aller chercher la naïveté, la fragilité, la vulnérabilité face à la vie d’un être qui se sent comme un enfant tout en se voyant comme un adulte." Afin d’approfondir son rôle, l’acteur a même fait des recherches sur l’amnésie et a rencontré des gens ayant vécu un coma, avant de se rendre compte qu’une telle expérience se vivait différemment d’une personne à l’autre. Demeurait donc pour lui la force du scénario.

Francis Leclerc avoue avoir été chercher le Roy Dupuis dont il s’ennuyait, celui de Being at Home With Claude et de Cap Tourmente: "Roy est organique, c’est une machine, un travaillant. Même hors cadre, il est très présent, très inspirant. Il est à la fois instinctif et technique… et la caméra l’aime beaucoup. C’est simple, les bleus et les bruns de la photo d’Asselin lui vont très bien! Cela dit, je ne voulais pas lui donner la gueule d’acteur qu’on lui connaît; je le voulais voûté et vulnérable parce que je trouvais qu’il faisait le même type de rôle depuis 10 ans, c’est-à-dire planté et misant sur l’intensité de son regard."

Afin de créer le personnage de l’enquêteuse, le cinéaste s’est inspiré de Rosa Zacharie: "Le personnage a été tissé à partir de ce que je suis, Libanaise par mon père et née aux limites de la Côte-Nord et du Saguenay. J’ai voulu la garder féminine, je ne voulais pas qu’elle soit une enquêteuse forte et sûre d’elle. Pauline, je la vois comme un phare pour Alexandre, car elle est terre-à-terre, pragmatique et perspicace."

Film glacial et cérébral d’une esthétique épurée – chaque personnage semble isolé dans des plans dépouillés -, Mémoires affectives s’inscrit subtilement dans la veine fantastique, genre ne plaisant pas nécessairement à tous, sans miser sur les effets spéciaux mais sur la force des mots et de l’atmosphère dramatique: "Pour moi, le genre n’a pas d’importance, c’est l’histoire qui m’intéresse. Même si on est dans le fantastique, Mémoires affectives demeure un film artistique. J’adore le cinéma et ce film n’a rien à voir avec ce que l’on fait à la télé, tout dans l’image et le scénario est cinématographique", de conclure Roy Dupuis.

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