La lune viendra d’elle-même : L’accompagnatrice
La lune viendra d’elle-même, premier long métrage de Marie-Jan Seille, suit la lente agonie d’une jeune sidéenne. Entretien avec la réalisatrice et France Castel.
Chaque jour, nous sommes confrontés à la mort par l’entremise des actualités, des fictions télé et du cinéma. Pourtant, elle demeure un tabou, un sujet que plusieurs d’entre nous préfèrent éviter, voire ignorer. "Ce qui est tabou dans la mort, c’est l’intime, explique la réalisatrice d’origine française Marie-Jan Seille. À partir du moment où la mort frappe nos proches, on devient maladroits, on se sent impuissants et on a peur d’entrer dans l’intimité de la mort. Dans notre culture, la mort est totalement évacuée, elle est considérée comme un échec – parlons-en aux médecins ou pensons aux soins palliatifs, qui offrent une contrepartie à la "mort échec" -, alors que dans d’autres cultures, on intègre la mort dès la naissance. Le problème, c’est que nous faisons de la mort le contraire de la vie, alors que moi, je considère, en raison des expériences d’accompagnement que j’ai vécues, la mort comme un passage de la vie."
Forte de ces expériences, Marie-Jan Seille a pourtant vu germer l’idée de La lune viendra d’elle-même au moment de la naissance de son filleul. C’est ainsi que malgré son sujet austère, une certaine sérénité traverse le film. Atteinte du sida, Aimée (Isabelle Leblanc) continue de cultiver le goût de la beauté, de communiquer avec la nature et de savourer chaque petit plaisir que lui apporte la vie, que l’on pense aux framboises qu’elle demande à sa meilleure amie Francine (France Castel), entièrement dévouée au bien-être de la jeune femme. Par ailleurs, Marianne (Nathalie Mallette) est enceinte durant la lente agonie de son amie d’enfance. De cette façon, Seille, qui croit à la synchronicité – la première de son film ayant eu lieu le jour du 20e anniversaire de la mort de sa mère -, dépeint le cycle de la vie à la façon des mandalas des moines bouddhistes, principal motif du film.
Grande amie de la réalisatrice, France Castel, la soixantaine resplendissante, étonne par l’intériorité de son jeu: "C’était un beau défi, raconte la comédienne, et ça prenait quelqu’un qui connaissait ces aspects de ma personnalité. Au fond, c’est une affaire de personnage; j’ai toujours eu ce côté très introverti, introspectif, plus sensible. C’est presque un contre-emploi. Elle m’a fait confiance et moi, je savais ce qu’elle voulait. En fait, ce personnage, c’est beaucoup Marie-Jan…"
D’une certaine façon, le film de Seille, malgré sa pudeur, nous confronte impudiquement à la mort, à une époque où elle est aseptisée, contrairement au temps où les familles prenaient soin de leurs morts: "Il y a eu une individualisation de la mort, explique la cinéaste. Il y a eu la tradition hospitalière, où il y avait un véritable accompagnement. Maintenant, on a fait de la mort, comme de tout le reste, un problème. On a donc évacué la notion de mystère entourant la mort."
En plus de nous convier dans l’antichambre de la mort, Seille évoque en filigrane l’idée du souvenir et du désir de laisser une trace. De fait, perdant la mémoire à cause de la maladie, Aimée filme des instants de vie, souligne le passage des saisons, comme dans les haïkus dont s’inspire la réalisatrice, et pose des questions à son entourage – témoignages dont nous restons cependant privés. Plus encore, La lune viendra d’elle-même traite d’un sujet auquel bon nombre d’entre nous seront éventuellement confrontés, à un moment où la population vieillit et où le nombre d’aidants naturels augmente. D’une certaine façon, La lune… tente de nous réconcilier en douceur avec la mort: "Il est temps qu’on apprivoise la mort, car il y aura de plus en plus de contacts avec elle, poursuit la comédienne. C’est une façon d’exorciser le grand drame auquel nous sommes tous conviés et en même temps de s’élever jusqu’à lui. La mort restera un tabou, pour reprendre un vieux cliché, car personne n’en est revenu vivant! (rires) La mort demeure un mystère. Personnellement, elle ne m’a jamais fait peur, je me suis même autodétruite parce que je voulais avoir le dernier mot sur la mort, alors que c’est impossible. C’est pour cela qu’elle demeure un tabou. On refuse d’accorder de l’importance à la mort parce qu’on ne pense qu’à la performance et qu’elle est inévitable, alors qu’il y a toute une vie, que l’on doit savourer pleinement, pour aller vers la mort. Il faut embrasser la mort autrement, de façon plus consciente. En fait, je crois que ce film va m’aider à l’accepter."w
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