RIDM : Dans les frontières du réel
Cinéma

RIDM : Dans les frontières du réel

Dans cette 7e édition des RIDM, le cinéma affronte le réel.

Bien que le cinéma documentaire ne jouisse pas de la diffusion et des moyens dont peut, avec raison, s’enorgueillir le cinéma de fiction, il n’en demeure pas moins le médium d’expression le plus accessible et, dans la plupart des cas, le moins onéreux à produire. Aussi, on ne peut être surpris de la richesse, de la variété et de la diversité qu’offre cette septième édition des Rencontres internationales du documentaire de Montréal. Plus qu’un festival, les Rencontres internationales, comme le nom de l’événement le suggère, permettent avant tout de rencontrer, voire d’être mis en présence de cultures différentes, de grands malheurs ou de petits bonheurs, et, à juste titre, de faire connaissance avec une réalité qui avoisine ou non la nôtre. Dans tous les cas, chacun des films proposés est une invitation au voyage; un voyage réaliste dans la pluralité des temps et l’intrication des espaces, lieux et terres.

Faire ce voyage dans les frontières du réel relève parfois du douloureux constat; celui, entre autres, qu’éprouve le cinéaste face à l’impuissance qui le condamne tôt ou tard à la seule observation des faits. N’être qu’un ou naître que témoin, c’est le sentiment qui a longtemps habité le Belge Pierre Vandeweed. Closed District est une œuvre incontournable pour quiconque ne doute pas de la fréquente impossibilité de prendre position. En 1996, Vandeweed filme la guerre dans le Sud-Soudan avec l’intention, justement, de prendre position pour les minorités opprimées et contre un gouvernement oppresseur. La réalité du conflit qui s’offre alors à lui est si complexe et à ce point contaminée par de multiples et déplorables ambitions autoritaires qu’il se refusa jusqu’à tout récemment, par écœurement, d’assembler ces images et d’en faire un film. Au final, Closed District s’avère un documentaire sur un film ayant pu être réalisé autrement et pour bien d’autres raisons que celles qui motivèrent en dernier lieu Vandeweed; celle de rendre compte a posteriori des limites à ce qu’un engagement du cinéaste puisse changer quoi que ce soit à l’événement, et celle de juger du recul et de la métamorphose que les années imposent à un discours, aussi sincère soit-il.

Ce sentiment d’impuissance caractéristique d’une profonde humilité et non d’un triste aveu d’échec est par d’autres fois conjuré par le désir de la diatribe que le Citizen Berlusconi de Susan Gray opère avec mordant et efficacité. Avec un montage hétéroclite qui entremêle archives visuelles et témoignages divers, Citizen Berlusconi gagne son pari de répondre à l’emprise démesurée de Berlusconi sur les médias par un propos dont la mesure polémiste n’a d’égale que la présomption et l’arrogance de ce Charles Foster Kane italien. Se savoir à la fois impuissant mais investi de pouvoir, c’est l’impossible, et pourtant réel, apanage du documentaire.

Cet apanage que Grissinopoli, El pais de los grisines de Dario Doria et Musiques rebelles americas de Marie Boti et Malcolm Guy rendent complice de l’action politique de l’ouvrier, du modeste ou de l’oublié. Qu’il s’agisse dans un cas pour le travailleur de prendre possession de l’usine en faillite ou, dans l’autre cas, pour le chanteur de siffler sa haine et son désenchantement, le documentaire, qui est toujours affaire de modestie, sait peut-être le mieux avaliser la parole du plus petit et du moins fortuné.

Mais le plus petit n’en a pas moins de grandes choses à dire. L’Arbre aux branches coupées de Pascale Ferland trace le portrait touchant de deux retraités de Moscou pour qui la création artistique permet à la fois d’espérer une évasion tout en couleur et d’exprimer dans la grisaille du quotidien une désillusion envers un pays dont les aspirations populaires de ses habitants ont été maintes fois déçues. Et c’est dans la parole des laissés pour compte, des minoritaires que Bernard Émond, invité des Rencontres, trouve avec La Terre des autres et Ceux qui ont le pas léger meurent sans laisser de traces la puissance de dire l’indicible souffrance d’être en marge des autres. Une marge libératrice pour certains et funeste pour d’autres. Il est parfois même une marge dans laquelle ne reste d’humain que l’attente du prisonnier avant d’être exécuté. Mais il suffit de voir Deadline de Katy Chevigny et Kristen Johnson pour se laisser habiter par l’espoir qu’un jour soit décidé, comme l’a justement décidé en 2003 le gouverneur républicain de l’Illinois George Ryan, que la peine de mort ne soit plus qu’un mauvais souvenir à jeter parmi les restes abjects qui nous distinguent encore de l’animal. Les RIDM se poursuivent jusqu’au 21 novembre.

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