The Machinist : État de veille
Dans l’étrange The Machinist, Christian Bale, complètement transfiguré par un régime minceur presque suicidaire, incarne un ouvrier d’usine insomniaque.
Pour jouer dans ce film lugubre à souhait, Christian Bale s’est amaigri de 63 livres. Le visage émacié, le torse efflanqué, il n’a plus que la peau sur les os. Or, par le fruit d’un curieux paradoxe, l’acteur décharné n’a peut-être jamais eu autant de présence à l’écran que dans ce rôle d’un ouvrier d’usine qui n’a pas fermé l’œil depuis un an. Trevor Reznik est un machiniste solitaire. Il n’a pas de famille, pas d’amis. La nuit, il s’offre parfois les services de la prostituée Stevie (Jennifer Jason Leigh, plus sobre que d’habitude) ou il va s’échoir sur les bancs du restaurant d’aéroport où travaille la gentille serveuse Marie (Aitana Sánchez-Gijón), avec qui il aime faire la conversation.
Dans le prologue, on voit Trevor, le visage contusionné et le regard effarouché, jeter à la mer ce qui ressemble à un corps. Le reste du film est un long flash-back qui retrace les événements ayant mené le personnage dans cette situation. Parfait prototype du film néo-noir, The Machinist est un exercice de style sur le complexe de la persécution, à la manière du Locataire de Polanski ou du Spider de Cronenberg. Cultivant un goût marqué du détail insolite, le réalisateur Brad Anderson cherche à transmettre au spectateur le sentiment croissant de malaise qui étouffe le protagoniste. Car Trevor est un insomniaque paranoïaque; durant ses nuits blanches, il broie du noir. Son corps n’est qu’une silhouette fantomatique, mais sa tête est pleine. Pleine de fantasmes et de visions étranges qui transforment sa vie en mauvais rêve éveillé. Et qui finissent par lui faire croire que le monde entier veut sa peau, ou ce qu’il en reste.
The Machinist instille une angoisse sourde chez le spectateur, à force d’images glauques et de développements narratifs inquiétants. Mais contrairement à un David Lynch qui a le culot de renvoyer le spectateur à la maison en le laissant sur des impressions troubles et ambiguës (Lost Highway, Mullholand Dr.), Anderson, lui, justifie ses folies avec une explication finale psycho-rationnelle que n’aurait pas reniée le Hitchcock de Psycho. Est-ce à dire que l’histoire de The Machinist est à dormir debout? Peut-être. Mais ça donne quand même un joli cauchemar, fort bien filmé, avec toute une performance d’acteur!
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