Comme une image : Portrait de l'artiste en tyran
Cinéma

Comme une image : Portrait de l’artiste en tyran

Comme une image dépeint avec finesse les malheurs d’une jeune fille bourrée de complexes. Propos d’Agnès Jaoui et de Jean-Pierre Bacri recueillis lors d’une table ronde au Festival de Cannes.

À 20 ans, Lolita Cassard (Marilou Berry, naturelle) souffre de ne pas correspondre aux critères de beauté comme la jeune épouse de son père, le célèbre écrivain Étienne Cassard (Jean-Pierre Bacri, toujours aussi exquis). Ce dernier, un tyran domestique, se complaît dans le confort de la célébrité, qui lui permet de traiter les autres sans respect. Mariée à un aspirant écrivain, Sylvia Miller (Agnès Jaoui, d’une grande justesse) enseigne le chant choral à Lolita, qui croit trouver auprès d’elle l’attention dont la prive son père.

Alors que Le Goût des autres s’achevait sur le regard plein de compassion de l’actrice sur l’homme d’affaires épris d’elle, celui du tandem Jaoui-Bacri, qui a remporté le prix du scénario à Cannes, n’a rien perdu de son acuité. Pourtant, il nous apparaît un peu moins misanthrope du fait que les personnages dépeints dans Comme une image s’éloignent de la caricature pour s’humaniser davantage: "Pour moi, explique la réalisatrice, ce film est beaucoup plus noir et plus dur que Le Goût des autres, à cause des personnages d’Étienne et de Lolita, qui est ambivalente parce qu’elle est touchante et qu’elle ressemble à son père à la fois. Également, nous abordons le pouvoir, les comportements que nous adoptons en situation de pouvoir, ce qui n’est pas nécessairement flatteur."

De fait, dans cet univers bourgeois, mis en scène élégamment par Jaoui, force est de reconnaître des situations familières où nous avons pu être tour à tour témoin, victime ou bourreau. Toutefois, Comme une image n’a rien d’un conte moralisateur. Il s’agirait plutôt d’un fascinant miroir où se reflètent sans fard nos travers et ceux des autres: "Notre grand plaisir est d’essayer de saisir ce que nous observons dans la vie et de le transposer au cinéma afin que les gens se reconnaissent et se sentent éventuellement soulagés", affirme Jaoui. De renchérir Bacri: "Nous tendons un miroir aux gens, mais nous nous le tendons en même temps. Tous les réflexes, toutes les bassesses humaines, chacun les porte en soi. La faiblesse, c’est le propre de l’être humain. Si l’on s’intéresse à l’humanité, on est obligé de parler de ses faiblesses. Dans l’écriture, nous cherchons toujours à défendre au maximum nos personnages, même s’ils nous déplaisent moralement. C’est une question d’honnêteté intellectuelle, de justice et de justesse."

Avec ses dialogues brillamment écrits, la deuxième réalisation de Jaoui est sans doute plus sombre que Le Goût des autres, écorchant davantage l’être humain dans une suite de scènes où celui-ci subit l’humiliation de ne pas être écouté ou accepte de s’assujettir au pouvoir que donne la célébrité, au risque d’oublier ses propres convictions. Cependant, par l’évolution du personnage de Lolita, qui s’ouvrira à son entourage grâce à son petit ami qui ne s’en laisse imposer par personne, l’ensemble porte en lui un certain espoir en l’espèce humaine. Une magistrale leçon d’observation sociale signée Jaoui-Bacri.

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