Ma vie en cinémascope : Denise Filiatrault
Cinéma

Ma vie en cinémascope : Denise Filiatrault

Denise Filiatrault, réputée pour son bouillant caractère, a prouvé qu’elle savait être patiente puisqu’elle aura attendu plus d’une dizaine d’années avant de réaliser son rêve: tourner un film sur son idole Alys Robi. Rencontre avec la réalisatrice et l’interprète de la diva, Pascale Bussières.

À quelques jours de la première de son film le plus personnel, Ma vie en cinémascope, Denise Filiatrault est visiblement fébrile. Après tout, ce n’est pas tous les jours que l’on s’attelle à raconter une légende: "J’avais 14 ans quand j’ai découvert Alys Robi, qui en avait 22, se souvient la réalisatrice. Elle jouait au National, mais mes parents me défendaient d’aller voir les spectacles de Ti-Zoune, La Poune et compagnie. C’est lorsqu’elle a commencé à chanter à la radio que je suis tombée amoureuse d’elle, de sa voix, de ce rythme et de ce son. Je "foxais" l’école pour aller la voir en spectacle; elle portait des robes très sexy, elle bougeait et dansait comme une liane. La petite écolière en uniforme noir et en bas drabes que j’étais s’est dit: c’est ça que je vais faire un jour!"

L’ayant bien connue, Denise Filiatrault était sans doute l’une des mieux placées pour raconter la vie de son idole. Pour écrire son scénario, dans les années 90, elle se base, entre autres, sur les récits de Rose Ouellette (Nathalie Mallette), de Juliette Pétrie (Chantal Baril) et de Jean Grimaldi (Normand Chouinard) afin de se rapprocher de la vérité qu’Alys Robi aime bien embellir… Pourtant, lorsque la télé-série est portée à l’écran en 1995, ce n’est pas son nom qui est retenu pour la réalisation: "À l’époque, je n’étais pas prête à réaliser une télé-série sur Alys Robi, reconnaît-elle humblement. C’était mon texte, mais pas ma vision; je trouvais que l’ensemble manquait de passion, de guts! Ma vie en cinémascope a été fait par une fan d’Alys Robi et ça se sent!"

D’ailleurs, pour aider Pascale Bussières à se mettre dans la peau de la chanteuse, la réalisatrice n’a pas hésité une seconde à enseigner elle-même à l’actrice quelques pas de danse: "Travailler avec Denise, c’est se mettre sur le 220, s’exclame Pascale Bussières. Denise et Alys sont des superpuissances, dédiées à leur travail. Il a fallu que je m’abandonne à Denise totalement; je savais qu’elle la connaissait bien et qu’elle l’avait dans la peau. Comme elle avait déjà chanté dans des cabarets, elle savait comment arriver sur scène devant des hommes, souvent soûls, de façon très conquérante et très glamour, contrairement aux chanteuses naturalistes d’aujourd’hui. Pour créer Alys, je me suis inspirée de Nina Hagen, de Diane Dufresne, de Madonna et de Marjo, des femmes provocantes et de véritables bêtes de scène… alors que moi, je suis plus dans le registre de Jane Birkin! (rires)"

Pour créer son personnage, Bussières n’avait que quelques photographies d’époque et des enregistrements sonores réalisés sous la direction du Pygmalion de Robi, Lucio Agostini (Denis Bernard), qui se plaisait à faire chanter sa protégée dans un registre aigu afin de suivre la mode. Toutefois, Filiatrault voulait faire découvrir la voix sensuelle de Robi grâce à la voix d’alto de Bussières, qui a travaillé étroitement avec Paul Buisson afin de faire sortir l’extravagante diva en elle. Évidemment, l’actrice a aussi dû rencontrer la mythique artiste qui s’est dite très contente du choix de la réalisatrice: "Elle m’a dit une chose qui ne cadrait tellement pas avec l’idée que j’avais d’elle, relate-t-elle: "Maintenant, ce n’est plus Alys Robi mais Pascale Bussières, et c’est le rôle de ta carrière…" J’ai trouvé cela très généreux de la part d’une femme qui a une si haute estime d’elle-même."

En plus de raconter la carrière d’Alys Robi, Ma vie en cinémascope met en lumière le dur combat contre la maniacodépression de la vedette internationale: "Pour Alys, le film est un message adressé aux gens ayant des proches atteints d’une maladie mentale: "Occupez-vous de vos malades!" qu’elle a dit en entrevue, explique Pascale Bussières. Le film dénonce le traitement bestial qu’elle a subi à l’époque; elle a même dit que c’était encore pire que cela dans la réalité. Si elle est passée à travers cela, c’est qu’elle a une énergie vitale, une capacité d’abstraction et de transcendance du réel qui appartient peut-être à la folie, mais qui est sa force. Encore aujourd’hui, à 82 ans, elle a le sens de la répartie, elle est toujours très allumée. Elle m’a dit qu’elle allait chanter sur un bateau de croisière aux Philippines; je ne sais pas si c’est vrai, mais c’est extraordinaire! Elle est un mythe vivant!"

Pour Denise Filiatrault, qui a fait la dure école du cabaret, Ma vie en cinémascope est aussi une façon de faire découvrir la petite histoire de la scène au Québec: "D’une part, je voulais redonner des lettres de noblesse au music-hall, snobé par l’élite; d’autre part, je voulais démontrer qu’il y avait eu une femme au Québec qui était avant-gardiste à une époque où les femmes se mariaient et avaient des enfants sans se questionner. Alys Robi, c’était notre Céline Dion de l’époque, mais sans René Angélil!"

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Et les humoristes dans tout ça?

Aux côtés des Pascale Bussières, Denis Bernard et Serge Postigo (Olivier Guimond), évoluent Michel Barrette dans le rôle du père d’Alys et Lise Dion dans celui de Manda Parent. À l’heure où certains comédiens voient d’un mauvais œil que les humoristes envahissent le grand écran, qu’en pense la réalisatrice?

"Le talent, tu l’as ou tu l’as pas! C’est une bonne chose que les comédiens fassent des écoles de théâtre, à la condition de tomber sur une bonne école et sur de bons profs afin d’avoir une bonne culture générale du métier. Par contre, s’ils tombent sur de mauvais profs, ils peuvent être détruits… c’est très grave! Les écoles font développer le talent, mais n’en donnent pas. Alors quand le petit (Christian) Bégin fait une sortie contre les humoristes qui deviennent acteurs: une minute! L’humoriste joue un ou plusieurs personnages dans ses monologues; c’est beaucoup plus difficile de faire rire les gens seul sur une scène qu’avec un texte comportant des répliques qui mettent en valeur les comédiens. Raimu, un comique troupier qui jouait pour les soldats, a fini à la Comédie-Française; Jean Gabin, qui avait été l’un des boys de Mistinguett, est devenu l’un des plus grands acteurs français; Cary Grant a été le faire-valoir de Mae West avant de devenir l’un des meilleurs acteurs américains; au Québec, il y a eu Ovila Légaré et Fred Barry. Aucun n’avait fait d’école; à l’époque, on apprenait sur le tas. Alors, c’est tout à notre gloire et à celle de ces gens-là qu’il ne faut pas dire que parce quelqu’un est humoriste, c’est un trou de cul qui n’a pas fait d’école et qui ne vaut rien!"