Stage Beauty : Le damoiseau
Cinéma

Stage Beauty : Le damoiseau

Dans Stage Beauty, vivante et grivoise comédie de mœurs de Richard Eyre, Billy Crudup se fait belle pour l’amour et l’argent. Entretien avec l’acteur.

Au 17e siècle, Ned Kynaston (Billy Crudup), acteur shakespearien et coqueluche de Londres, se spécialise dans les rôles féminins – au dire de Samuel Pepys (Hugh Bonneville), sa Desdémone est la plus belle d’entre toutes les femmes -, jusqu’au jour où le roi Charles II (Rupert Everett) décrète malicieusement que les hommes ne pourront désormais incarner des femmes. "Une femme jouant une femme – où est l’attrape?" de demander l’acteur indigné. Avec raison.

Habilleuse de Kynaston, Maria (Claire Danes) a mémorisé les moindres inflexions et gestes de Desdémone, rôle ayant rendu célèbre l’acteur androgyne, à un point tel qu’elle est en voie d’éclipser ce dernier. Recherchant constamment l’affection des hommes à cause de ses rôles féminins, Kynaston ne réalise pas que Maria est amoureuse de lui: "Je n’ai jamais connu de femmes, sauf moi-même", avoue-t-il avec une fausse ingénuité.

"Le scénario était enlevant, intéressant et plein de défis, raconte Crudup. De plus, il permettait d’amener les gens à s’interroger sur l’identité, laquelle est, selon moi, définie par l’image que nous nous faisons de nous-mêmes. Outre notre race, notre sexe est l’attribut que nous tenons le plus pour acquis, et notre façon de le définir est sans doute quelque peu réductrice. L’étendue de la sexualité humaine couvre un éventail restreint… mais les choses changent. Chaque année, les gens en parlent dans un environnement de moins en moins hostile, et je suis fier de contribuer à cela."

Ce que l’on appelle chez les universitaires la "performativité" des genres devient à l’écran une exubérante et divertissante idylle entre Danes et Crudup, véritable couple à la ville faisant les délices des journaux à potins. Grâce à l’habile et énergique scénario de Jeffrey Hatcher (qui signe l’adaptation de sa pièce Compleat Female Stage Beauty) et à l’adroite direction d’acteurs de Richard Eyre, le jeu plein d’entrain et intense de Danes et de Crudup, qui recréent avec assez d’aisance les attitudes propres au sexe opposé, vous mettra en émoi… même si les maigrichonnes à poitrine plate ou les petits elfes aux lèvres maquillées ne vous font pas craquer.

En d’autres termes, Stage Beauty relate une histoire d’amour peu commune, tellement que lorsque Ned et Maria se retrouvent enfin au lit, se révèle alors un amour singulièrement original où chacun trouve l’occasion d’être maître de la situation. Chaque geste, chaque position les amène à se demander qui ils sont, tout en leur permettant de découvrir la chair de leur partenaire. En résulte un Shakespeare in Love doté d’une libido et d’un cerveau.

"Honnêtement, je pense qu’il s’agit là du plus grand rôle qu’on m’ait jamais offert de jouer au cinéma, s’exclame Crudup. Ce n’est pas tous les jours qu’un gars de 35 ans se voit offrir de jouer Desdémone! En plus de l’identité sexuelle, j’ai eu la chance d’explorer quelque chose d’encore plus effrayant que de jouer à l’efféminé: incarner un mauvais acteur. Dans le récit, Kynaston devient dépassé lorsque Maria reprend le rôle de Desdémone, non seulement à cause de son sexe, mais parce que sa façon maniérée de jouer les femmes en vient à ennuyer le public, qui a eu la chance de goûter à une réelle interprétation féminine."

"L’aspect que je craignais le plus n’était pas de remettre mon sexe ni ma sexualité en question, d’expliquer Crudup. En fait, c’était le rôle en soi; c’est difficile d’interpréter un acteur qui joue d’une certaine façon sans que l’on puisse apporter un commentaire. Par moments, j’avais envie de me dire: "Ce n’est pas moi, Billy, qui deviens un mauvais acteur." Ce n’est pas "mon" jeu stylisé, mais celui de Ned; il faut éviter de juger son personnage, car Ned pense qu’il est très bon."

Bien qu’il jouisse d’une magnifique ossature et d’un faciès masculin finement ciselé, Crudup avoue: "Je pense que la plupart des acteurs vous diront qu’ils entretiennent une relation amour-haine avec leur apparence. Jouer est un exercice de créativité, mais notre apparence est la première chose qui nous empêche d’explorer pleinement notre potentiel. Nous sommes alors confinés à incarner des personnages qui nous ressemblent." C’est sans doute pour cela qu’il est si agréable de constater qu’on lui a donné la chance de changer son apparence.

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