Dig! : Monstres sacrés
Cinéma

Dig! : Monstres sacrés

Dig! est un passionnant documentaire qui espionne les destinées croisées de deux groupes rock, les Dandy Warhols et leur succès payé cher et le Brian Jonestown Massacre, fier fiévreux, indépendant mais autodestructeur. Deux beaux monstres.

Au départ, il y eut le Brian Jonestown Massacre, un groupe formé en 1990 à San Francisco, nommé en hommage au guitariste des Rolling Stones (qui voulait introduire dans le rock des éléments de la culture orientale). Mené par un Anton Newcombe prouvant au-delà de tout doute qu’on peut faire montre d’une grande force magnétique, attirer à soi une panoplie de musiciens (ils furent une quarantaine à passer par le BJM) avec zéro de charisme mais un talent fou et la fébrilité des poètes maudits.

Zéro de charisme… ou si peu. Dans les documentaires sur les vies de rock stars, arrive inévitablement cette scène où la mère du monstre, repérée dans sa petite maison de banlieue, ouvre l’album photos, s’étend sur l’enfance du monstre et fait état des inexplicables problèmes de comportement du gamin, de son hypersensibilité/agressivité/désir de réclusion. On l’a vu dans un autre excellent documentaire également présenté au Cinéma du Parc, l’automne dernier, portant sur les Ramones (End of the Century: The Story of The Ramones, 2003). On s’était alors pris d’affection, immédiatement, pour Joey Ramone, son sourire démesuré et sa bouille tragicomique de marionnette dévastée. Rien de tel avec Anton Newcombe, personnalité forte, bohème et antipathique au cœur de ce film primé au dernier Festival de Sundance (catégorie documentaire), dont il est le soleil froid. Celui-ci trouve son pendant lumineux en la personne de Courtney Taylor, chanteur des Dandy Warhols, ancien Brian Jonestown Massacre, qui, lui, assure la narration de Dig!, réalisé par Ondi Timoner, dont le grand mérite est d’avoir suivi à la trace pendant sept ans les deux groupes issus d’un même noyau, nous montrant l’ascension des Dandy parallèlement à la chute de Newcombe. Mais les apparences peuvent tromper.

En général, quand un groupe associé à la scène indépendante signe avec une grosse maison de disques, c’est que la situation est devenue incontrôlable, que le band veut faire autre chose que gérer une demande croissante qui le dépasse, c’est avec l’assurance de pouvoir continuer à faire comme il l’entend artistiquement, sans que personne n’intervienne dans les rouages créatifs. On peut penser ici à Sonic Youth et Nirvana qui s’associèrent à Geffen, ou plus récemment à l’entente signée entre Le Tigre et Universal. Est-ce que les Dandy Warhols se laissèrent trop vite avaler par Capitol? La question se pose, car il y a cette conversation téléphonique dans laquelle on leur reproche des ventes de disques jugées insatisfaisantes, dans laquelle on attire leur attention sur la nécessité pressante d’un hit. Peu après, la caméra poursuit un Courtney Taylor fuyant et prématurément amer, et qui, s’il s’était laissé envoûter par l’idée de la célébrité, n’entend désormais plus du tout à rire.

Pendant ce temps-là, plus dissipé mais toujours aussi indépendant, Newcombe, de plus en plus junkie et dolent, continue de sillonner les routes américaines avec son sitar et ses favoris hirsutes, de donner des spectacles dans des bars miteux et lugubres, de saboter ses chansons pour se bagarrer avec un des membres du BJM, d’envoyer un coup de pied en pleine tronche à un spectateur pour un oui ou pour un non, bien plus dangereux pour lui que pour les autres, mais toujours aussi attaché à la musique comme à une dose de vie.

Connaître les Dandy ou le Massacre n’est pas un pré-requis pour jubiler pendant Dig!, qu’il faut voir si l’on s’intéresse à la culture rock, à ce qu’il y a derrière les clips léchés, derrière l’odeur du fric et le parfum du scandale, si on souhaite observer, sans la frime et le crémage, ce qui se discute, se pense et se tait dans les caravanes, en tournée. Et de ce documentaire vraiment bien foutu, on retient le respect mutuel, jamais trahi par la rage ou l’envie, liant Newcombe et Taylor, qui apparaissent comme les deux visages d’une destinée: la face sombre, ténébreuse, indomptée et fiévreusement indépendante qui aperçoit l’autre dans le miroir: radieuse, bien maquillée, présentée sous son jour le plus avantageux… un brin clownesque et poseuse, prise au cœur d’un cirque qui n’a plus grand-chose à voir avec le génie musical.

Dig!
d’Ondi Timoner
Au Cinéma du Parc
Du 7 au 13 janvier

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