I Heart Huckabees : Psycho pop
I Heart Huckabees est un délire sur les méandres de la psyché humaine et sur ceux qui tentent d’y comprendre quelque chose. Empreinte d’ironie, cette comédie est l’un de ces ovnis que l’on voudrait voir atterrir plus souvent sur les écrans.
I Heart Huckabees s’ouvre avec une mise au point progressive sur Albert Markovski (Jason Schwartzman, ici très juste), jeune poète échevelé, écervelé et leader d’un mouvement écolo. Le pauvre Albert, qui se situe quelque part entre Thomas Fersen, Woody Allen et Buster Keaton, vit une crise existentielle aiguë. "Don’t quit!" se répète-t-il entre deux jurons, au moment où il s’apprête à commettre un nouveau coup d’éclat visant à sauver un autre espace vert menacé de disparition. C’est qu’Albert est fort troublé! Il vient de croiser à trois reprises, dans des circonstances relevant du plus pur des hasards, un jeune Africain au visage de sphinx. Or, Albert est persuadé que ces rencontres recèlent le sens fondamental de sa pénible existence. En proie à l’insécurité et à l’humiliation perpétuelle, Albert est comme cette grosse pierre qu’il veut sauver: il est pétrifié et en sursis. Un passage d’un poème de son cru, qu’il lit au tout début du film en hommage à cette pierre, est d’ailleurs très révélateur: "You rock, Rock! You show us how to just sit here, and that’s what we need."
Pourtant Albert en a assez de cette existence. Et il ne fallait qu’un signe du destin de plus (une carte d’affaires trouvée dans la poche d’un veston prêté dans un grand restaurant) pour qu’il prenne les grands moyens. Il engage deux "détectives existentiels" (Dustin Hoffman et Lily Tomlin, réjouissants), qui enquêteront sur sa vie en scrutant ses moindres gestes afin de déterminer qui il est, fondamentalement. Durant ce parcours maso-métaphysique, Albert sera confronté à ses faiblesses, aux théories psychanalytiques les plus loufoques et à son irrécupérable sentiment d’infériorité face à son rival existentiel, Brad Stand (Jude Law), cadre-vedette de la chaîne de grands magasins Huckabees, qui a bien l’intention de détourner la croisade d’Albert à des fins de relations publiques.
Il serait inutile d’aller plus loin dans la description de cet excellent scénario qui se complique et s’enfonce toujours davantage, scène après scène, dans une description des tourments humains à la fois irrévérencieuse et très "psychologie populaire": Mark Wahlberg est irrésistible en pompier perturbé par les attentats de New York, "you know, that September thing", comme on dit dans le film. En fait, la réussite d’I Heart Huckabees tient à la frivolité de sa démarche. Plus les psychanalystes (et le réalisateur) œuvrent à faire le portrait intérieur d’Albert, plus le tout s’embrouille. En vérité, il ne faut pas vraiment chercher à comprendre, puisque I Heart Huckabees n’a en fait aucune intention d’expliquer quoi que ce soit. Le plaisir du réalisateur est plutôt de voir ses personnages se débattre avec leur karma, tout en jouant constamment dans un univers d’ironie, d’autodérision et de surréalisme (avec clin d’œil à Magritte). Les interprètes, faisant tous preuve d’une belle unité de ton, contribuent grandement au film en lui donnant des ailes.
La réalisation de David O. Russell (Three Kings, Flirting with Disaster) est décontractée, colorée, et l’esthétique, d’un certain snobisme tout à fait de circonstance, y est plutôt "pop" (c’est la mode actuellement au cinéma). Le film utilise aussi de façon fort à propos certains effets visuels intéressants (les personnages qui se "déconstruisent" en petits cubes qui flottent dans le vide). En fait, à bien y penser, par sa conception candide de l’existence et son traitement fantaisiste, I Heart Huckabees est une sorte d’Amélie Poulain beaucoup plus délinquant et grinçant. Rien n’est à prendre au sérieux dans ce film absurde. Rien, sauf notre plaisir de voir une comédie existentielle mordante, spirituelle et aux belles envolées surréalistes. Séduisant!
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