The Merchant of Venice : Le sombre vilain
Grâce à The Merchant of Venice, de Michael Radford, Al Pacino renoue avec Shakespeare en se glissant dans la peau de Shylock.
The Merchant of Venice
de Michael Radford (1984, Il Postino) est un film qui nous reste en travers de la gorge. Et pour cause. Adaptation de la pièce de Shakespeare jugée antisémite, cette comédie dramatique, qui fait grincer des dents plus qu’elle nous fait sourire, trace le portrait peu flatteur d’un usurier juif, Shylock (Al Pacino), homme avare, sanguinaire et à l’esprit vengeur. Un horrible cliché imaginé par le grand dramaturge anglais que ni la réalisation ni l’interprétation ne viendront nuancer.
Pourtant, dès les premières images, campées dans une Venise lugubre et décadente, Radford dénonce les injustices faites aux Juifs à la fin du XVIe siècle. À l’époque, les Juifs vivaient reclus sur l’île de Geto (d’où l’origine du mot ghetto) et lorsqu’ils circulaient dans Venise, ils devaient porter un chapeau rouge afin que l’on puisse les identifier. La nuit, ils ne pouvaient pas sortir puisque des chrétiens gardaient les portes de la ville. Ne pouvant être propriétaires, les Juifs étaient prêteurs sur gages, pratique illégale mais tolérée par les riches Vénitiens. C’est ainsi qu’afin que son ami Bassiano (Joseph Fiennes) aille rejoindre sa bien-aimée Portia (Lynn Collins), le marchand Antonio (Jeremy Irons) emprunte 3000 ducats à l’usurier Shylock, qui lui demande une livre de sa propre chair s’il n’arrive pas à lui rembourser la somme dans trois mois.
Contrairement à Julie Taymor qui avait signé l’audacieuse adaptation cinématographique de Titus Andronicus, sans contredit la pièce de Shakespeare la plus difficile à transposer tant au théâtre qu’à l’écran, Radford se contente d’une mise en scène conventionnelle et d’une lecture bien sage de la pièce. Évoquant trop brièvement l’ambiguïté de la relation entre le marchand et son protégé, le réalisateur hésite à couper par ailleurs lors de scènes d’un intérêt limité. Hélas, ce qui faisait rire hier ne fait plus rire aujourd’hui – à l’époque élisabéthaine, le bon peuple se bidonnait devant les carnages d’Hamlet -, et les disputes des amoureux à propos des bagues deviennent d’ennuyeuses minauderies.
Après avoir joué avec emphase Richard III dans son film d’essai Looking for Richard, Al Pacino remet ça. Et en le voyant en faire un peu trop dans la peau de Shylock, on se demande si la méthode de l’Actors Studio convient bien aux textes du grand Bill. Homme ravagé par la trahison de sa fille, qui lui a ravi la moitié de sa fortune avant d’épouser un chrétien, Shylock se révèle malheureusement plus souvent abject qu’émouvant. Pour sa part, Lynn Collins a tout de la beauté blonde vénitienne, mais lorsqu’elle se déguise en avocat, son jeu manque tout à fait de crédibilité, le personnage ne prenant même pas la peine de modifier sa voix (déjà que le travestissement passe mieux à la scène qu’à l’écran…). Par ailleurs, les très shakespeariens Jeremy Irons et Joseph Fiennes font montre d’une belle sobriété. En somme, une adaptation luxueuse, mais un peu trop poussiéreuse.
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