L'Immortalité en fin de compte : Le goût des autres
Cinéma

L’Immortalité en fin de compte : Le goût des autres

Avec L’Immortalité en fin de compte, Pascale Ferland met en relief la beauté présente derrière la création d’hommes qui, loin de se prétendre artistes, le sont, tout simplement. Produit extérieur brut.

Des cordes à linge chargées de vêtements blancs battant l’air comme autant d’ailes d’oiseau, une maison tellement bigarrée qu’on la croirait tout droit sortie du conte Hansel et Gretel, des sculptures de ciment aux silhouettes et aux traits naïfs, colorées à la manière de nos vieilles idoles religieuses… L’Immortalité en fin de compte, de Pascale Ferland, nous fait découvrir, au fil d’images empreintes d’une poésie toute particulière et de témoignages savoureux d’authenticité, l’univers très personnel de trois hommes qui, sans formation artistique et avec les moyens du bord, se sont néanmoins consacrés à la création. Dans l’urgence de façonner la matière, de jongler avec les formes, les couleurs et le mouvement, mais aussi dans la volonté de laisser leur trace, tangible, ils ont ainsi inventé leur propre mode de vie, leur propre recette de bonheur.

Pour Lionel Thériault, du Bas-Saint-Laurent, il s’agissait de recréer, sur la ferme de son père, l’atmosphère de son enfance, en y exposant divers objets d’époque et en y construisant des bâtiments commémoratifs. Et si son terrain est survolé de drapeaux canadiens, cela n’a rien à voir avec la politique, c’est seulement qu’il aime la feuille d’érable, le mouvement du tissu ondoyant dans le vent, et qu’il n’y a, à son sens, rien de plus beau que le rouge et le blanc. Quant au menuisier Léonce Durette, de la Gaspésie, il a, au cours des années, transformé sa maison en un véritable monument baroque, dont l’intérieur est tapissé de boiseries de toutes sortes et l’extérieur, planté d’objets hétéroclites, de mécanismes étranges et multicolores. Enfin, Roger Ouellette, de Charlevoix, est décédé en laissant à sa famille une multitude de pièces de ciment, personnages et animaux singuliers, qu’elle tente de conserver par amour pour lui.

Car, excentriques et imposantes, les œuvres de ces hommes ne font évidemment pas l’unanimité. Et si leurs proches, conscients du fait que celles-ci définissent un être qui leur est cher, en viennent à les accepter – de plus ou moins bon gré -, il n’en va généralement pas de même du voisinage et des autorités. Or, en nous faisant partager le point de vue de ces artistes incompris, L’Immortalité… arrive à nous indigner devant l’injustice des tentatives de musellement dont ils sont victimes. Comment, en effet, ne pas être attristé par la cruauté de cette lettre anonyme qualifiant le travail de M. Ouellette de déshonneur, ou encore, par la décision de cette cour administrative obligeant M. Thériault à renoncer à son rêve?

N’empêche, si ces décors rococo s’avèrent fascinants à l’écran, force nous est d’admettre qu’on ne les apprécierait probablement pas autant s’ils s’imposaient à nous au quotidien. Si bien que le documentaire, en nous émouvant d’une part, tout en nous présentant les œuvres pour ce qu’elles sont de l’autre, met en lumière le gouffre subsistant entre les beaux principes et la réalité, en plus de soulever des questions fondamentales, telles que: qu’est-ce que l’art? jusqu’où sommes-nous prêts à défendre la liberté d’expression?… Bref, un portait qui surprend, touche et donne à réfléchir.

Voir calendrier Cinéma