Sideways : Le bon, la brute et le vignoble
Sideways est pour Alexander Payne, auquel on doit notamment Election et About Schmidt, ce que Manhattan est pour Woody Allen: une comédie de mœurs existentialiste et intelligente qui transcende le genre.
Sideways
est une comédie intimiste douce-amère comme il s’en fait, malheureusement, de moins en moins. Surtout depuis les nombreuses redites de Woody Allen qui nous font regretter l’époque où la comédie de mœurs n’avait crainte de rimer avec un existentialisme soulagé de ses conséquences moralisatrices, mais néanmoins nourri d’un savoureux fatalisme ironique. Alexander Payne fait, certes, figure de marginal dans une cinématographie états-unienne progressivement déchirée entre le grossier et l’habituel faste hollywoodien et l’ "auteurisme" revendicateur et revanchard d’un "répertorisme" démocrate de bon ou de mauvais aloi, il n’en demeure pas moins un cinéaste d’exception dont les particularités poétiques confirment, cependant, la règle. Décidément, la honte ou la présomption qu’inspire à nos voisins du sud l’impertinence du règne de George W. érigent en légitimité le geste d’auteur qui condamne et prend clairement position envers et contre ce dernier. De sorte que la vie, la pensée et les désillusions du commun des Américains, modèle de l’ordinaire s’il en est un, font désormais figure d’entorse à la règle. Heureusement pour nous, Sideways relève de l’infraction.
Bien qu’une image furtive, et, avouons-le, symboliquement pertinente, nous permette de voir Dubyah lors d’une de ses apparitions télévisées, le dernier film d’Alexander Payne évite habilement de se politiser outre mesure, et ne déroge pas d’un iota à son objectif de départ qui est celui de représenter en un road movie existentiel les torts et travers de l’homme occidental moyen. Très moyen même. Miles (savoureux, irrésistible et "américainement" splendide Paul Giamatti), écrivain davantage désenchanté qu’irrémédiablement raté, propose à son ami Jack (jouissif Thomas Haden Church), un acteur de soap opera récemment recyclé en comédien publicitaire et futur marié de son (funeste) état, un voyage californien assidûment relevé de dégustations vinicoles. Alors que Miles profite mélancoliquement de ce voyage pour tenter d’oublier l’échec d’un mariage dont il se remet avec peine, même après deux ans, Jack voit en cette escapade l’ultime chance de bénéficier d’un célibat crépusculaire, lequel, espère-t-il, saura le délivrer – sexuellement – de l’angoisse de la pieuse promesse. Au déclin professionnel et idéalement sentimental de l’un répond ainsi la décadence impie de l’autre. Comment peut-on espérer meilleure représentation de l’esprit dionysiaque qu’inspire la tragédie nietzschéenne de la déchéance, et qu’exprime d’ailleurs à elle seule la constante dégustation vinique, qu’une défonce géo-touristico-alcoolisée?
Aussi, la production viticole fait-elle ici contrepoids à l’improductivité existentielle de ces deux individus (presque) constamment avinés. Mais là où Terry Gilliam péchait par l’absurde et la démesure dans un Fear and Loathing in Las Vegas faussement philosophique, Alexander Payne parvient à conjuguer le "parcours sans cause" du road movie traditionnel à l’improductivité éthylique de la festivité prénuptiale qui, paradoxalement, inspire à la fête une réelle et triste aura de fatalité. Bien que Sideways ne bouscule rien et ajoute peu à l’idée du déclin de l’homme quarantenaire, le film n’en conserve pas moins de la comédie de mœurs intelligente ce qui en assure son succès: un désopilant pessimisme dont l’avantage est de faire rire jaune – et rouge, voire rosé – celui auquel le film réfère. Santé!
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