Tarnation : Ego trip
Avec Tarnation, Jonathan Caouette réinvente l’art du documentaire en se livrant à une éclatante introspection. En résulte une œuvre cathartique hurlant l’amour d’un fils pour sa mère qui laisse le spectateur complètement K.-O.
À l’heure où la télé-réalité semble vouloir s’incruster à tout jamais dans nos grilles-horaires et où certains puristes s’inquiètent du fait que tout le monde peut se faire son cinéma grâce à la technologie de plus en plus abordable, Tarnation fait figure de fabuleux ovni cinématographique. Réalisé avec la modique somme de 187 $ US – comme quoi les budgets astronomiques ne garantissent en rien la qualité d’un produit -, ce documentaire à l’esthétique trash propose une troublante descente dans la psyché d’un jeune homme aussi doué que dérangé.
À tout moment aux limites de l’indécence et de la complaisance, Tarnation ne laisse jamais indifférent. Si la personnalité fortement égocentrique de Jonathan Caouette exaspère parfois au plus haut point, force est de reconnaître que sa démarche artistique relève du génie. Pas surprenant alors de découvrir que les producteurs de ce puissant scrapbook audiovisuel sont les réalisateurs Gus Van Sant, dont My Own Private Idaho a marqué l’imaginaire débordant du réalisateur new-yorkais, et John Cameron Mitchell, qui a signé la géniale comédie musicale aux accents de glam rock Hedwig and the Angry Inch.
Souffrant de troubles de dépersonnalisation, ce qui amène le sujet à confondre le rêve et la réalité, Caouette donne à son documentaire les allures d’un délire psychique parfaitement contrôlé. Ainsi, non seulement le cinéaste et aspirant acteur originaire du Texas nous entraîne à découvrir les drames qui ont ponctué sa vie par le biais d’extraits de films en super-8, de vidéos, de photographies, de messages téléphoniques, etc., il offre également, à l’aide d’archives télévisuelles et cinématographiques, un panorama des cultures américaine populaire, queer et underground. Un cocktail explosif et jouissif où les trentenaires ayant grandi devant le petit écran reconnaîtront les télé-séries de leur enfance et de sanguinolents films de série B.
Monstre d’égocentrisme qui se plaît à se filmer depuis l’âge de 11 ans, Caouette démontre un amour inconditionnel pour sa mère Renee LeBlanc, femme-enfant présentant des symptômes de schizophrénie et de maniacodépression. Cherchant à connaître la vérité sur le destin tragique de cette ex-reine de beauté, Caouette braque sa caméra sur ses grands-parents qu’il accuse d’avoir mené leur fille vers la folie. On ne saura jamais s’ils sont coupables de quoi que ce soit, mais une chose est sûre, lorsque Caouette filme sa mère délirant sur tout et sur rien, c’est toute la détresse et l’impuissance d’un fils aimant qui nous frappent en plein cœur.
Après avoir séduit Sundance et Cannes, il y a fort à parier que Jonathan Caouette, passé maître dans l’art du montage grâce à un simple logiciel, créera un engouement chez les cinéastes en herbe, qui à leur tour révolutionneront l’art du documentaire. Cependant, devant une œuvre aussi imaginative et généreuse que Tarnation, on se demande, non sans inquiétude, ce que ce réalisateur de courts métrages d’horreur réservera aux cinéphiles.
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