Roy Andersson : Tableaux de maître
Cinéma

Roy Andersson : Tableaux de maître

En 2000, Roy Andersson séduisait les cinéphiles avec l’obscur Chansons du deuxième étage. Peu d’entre nous savaient qu’il s’agissait du troisième film d’un génie écorché vif par la critique pour sa deuxième œuvre réalisée 25 ans auparavant. Pour palier notre ignorance, la Cinémathèque propose une rétrospective du grand cinéaste suédois.

Roy Andersson n’a que 27 ans lorsqu’il réalise en 1970 A Swedish Love Story (3 février). Baignée de lumière, tournée à l’aide de plans larges, souvent fixes, avec son direct, relatée avec peu de dialogues, cette histoire d’amour entre deux adolescents s’inscrit comme un bijou de cinéma naturaliste. Consacré avec raison cinéaste à surveiller, Andersson tourne cinq ans plus tard Giliap (4 février), mettant en scène un garçon de café mélancolique qui sera entraîné dans une étrange aventure avec sa nouvelle petite amie. Hélas, les critiques assassinent le film en condamnant la fixité des plans et la grande lenteur de l’ensemble. Malgré lui, le grand maître Kubrick viendra à la rescousse du réalisateur avec Barry Lyndon, dont le rythme lent et la beauté plastique feront changer d’avis la critique. Trop tard toutefois, car Andersson, ébranlé, se tournera vers la pub – Ingmar Bergman aurait dit à propos de son compatriote qu’il était le meilleur réalisateur de pub au monde.

En 1987, alors qu’explose l’épidémie de sida, le cinéaste reçoit une commande du Bureau national de la santé de Suède. Andersson, qui n’a jamais caché son admiration pour le peintre allemand Otto Dix, illustre alors en 24 tableaux aussi absurdes que géniaux, qui ne sont pas sans évoquer le chef-d’œuvre à venir, les origines de la maladie et ses répercussions dans le monde. Cependant, le Bureau juge l’œuvre trop subversive et la désavoue; le tournage est même interrompu. Ce n’est que quelques années plus tard que Something Happened (5 février) sera présenté intégralement et récoltera des prix, dont le Grand Prix du Festival international du court métrage de Montréal en 1993. La projection de ce percutant court métrage sera suivie de World of Glory, qui trace en 15 tableaux fixes, tantôt cauchemardesques, tantôt tragicomiques, la banale existence d’un homme dans la quarantaine qui regarde le spectateur dans le blanc des yeux, et d’une heure de films publicitaires, tous plus déstabilisants les uns que les autres.

Ayant perfectionné son style pendant un quart de siècle grâce notamment à la pub, Andersson revient en force en 2000 avec une œuvre apocalyptique de 46 plans-séquences mémorables qui donnent froid dans le dos. Inspiré d’un poème de Cesar Vallejo, Chansons du deuxième étage (6 février) s’impose par son surréalisme lugubre, son cynisme sombre et, une fois de plus dans la carrière d’Andersson, par la précision et le génie avec lesquels chaque plan est composé. Jamais notre société n’aura été dépeinte avec autant de désespoir et d’humour noir. Incroyable que le créateur d’une telle œuvre crépusculaire ait signé un film aussi lumineux qu’A Swedish Love Story dans sa jeunesse. Un parcours fascinant à suivre du 3 au 6 février, à la salle Claude-Jutra de la Cinémathèque québécoise.

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