Le Père de Gracile : Cinéma de la déchirure
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Le Père de Gracile : Cinéma de la déchirure

Pour Le Père de Gracile, Lucie Lambert trahit son "père spirituel" et se permet une incursion dans la fiction, comme pour mieux sonder la déchirure de l’âme.

Lucie Lambert fréquente le documentaire depuis déjà 10 ans. Son premier film, Paysages sous les paupières (Prix du jeune réalisateur aux Rendez-vous du cinéma québécois en 1996), avait permis à la réalisatrice d’émerger dans le domaine du documentaire et de s’imposer comme une auteure à suivre. Puis, avec Avant le jour (gagnant aux Hot Docs de Toronto en 2000), elle passait au long métrage et poursuivait une démarche d’écoute attentive des gens et d’observation patiente des mœurs, d’où émanaient des préoccupations sociales, culturelles et esthétiques. Il n’en fallait pas plus pour qu’on proclame Lucie Lambert digne héritière de Pierre Perrault.

"Mais là, je pense qu’il se retournerait dans sa tombe!" s’esclaffe la réalisatrice au bout du fil. C’est que son dernier film, Le Père de Gracile, est un long métrage hybride, beaucoup plus près du conte, de l’essai initiatique et… de la fiction que du documentaire. "C’est flatteur d’être comparée à Pierre Perrault. Mais je pense que mon regard en tant que cinéaste est très différent du sien. Perrault avait une aversion pour la mise en scène. Moi, au contraire, ça m’intéresse. Faire du documentaire, c’est puiser dans le réel et jouer avec, afin de réussir à le rendre, à le montrer en cinéma. Je ne sais pas si je le ferai davantage à l’avenir, mais pour ce film, ça m’a intéressée de jouer avec la fiction et la mise en scène."

Gracile est encore une enfant. Son père l’a quittée, ainsi que sa mère, pour devenir l’un de ces nomades du Nord qui tournent le dos à la civilisation pour se retrouver là où il est encore possible de faire un avec la nature. Résolue à retrouver ce père absent, Gracile quitte son village et arpente les routes qui vont vers le nord. Sur son chemin, elle croise des hommes, des Blancs et des autochtones. Ces hommes n’ont parfois plus les mots, mais il leur reste les larmes. En plus de l’émotion à fleur de peau, Le Père de Gracile est un film qui confirme la très grande sensibilité esthétique dont fait preuve Lucie Lambert, soutenue ici par son fidèle caméraman Serge Giguère. Les images évoquent avec puissance les idées foisonnantes de la cinéaste.

Mais le film peut aussi déstabiliser. L’itinéraire de Gracile, c’est aussi celui de la cinéaste. Attentives et curieuses, elles demeurent disponibles aux détours imprévus. Est-ce cette attitude de la cinéaste, appelant la multiplication des angles, que certains critiques ont prise pour une absence de point de vue? "Quand on regarde mes films une fois, de façon inattentive, on ne perçoit pas tout ce que mon caméraman, mon monteur et moi avons voulu tisser. En les revoyant, on sent qu’il y a de nombreuses histoires imbriquées. Et ce n’est pas du tout une absence de point de vue. C’est au contraire une vision des choses. Je vois le cinéma du réel comme une occasion d’arrêter le temps, de regarder des instants, d’y réfléchir et d’essayer de les comprendre."

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