La Mala Educacion : Amour des feintes
Avec La Mala Educacion, Pedro Almodovar aborde un thème grave en empruntant au film noir. Mais n’allez surtout pas croire que le flamboyant Madrilène pâlit avec le temps.
Tant par sa forme gigogne que par son histoire d’amour entre gamins, La Mala Educacion de Pedro Almodovar n’est pas sans rappeler la pièce de Michel Marc Bouchard Les Feluettes ou la répétition d’un drame romantique, brillamment adaptée au cinéma par John Greyson. Alors que le récit du dramaturge québécois se déroulait à Roberval au début du siècle, à l’époque où le Québec croulait sous le clergé, le drame du réalisateur du sublime Hable con ella, qui s’inspire de ses souvenirs de jeunesse, prend place dans l’Espagne des années 1960, époque marquée par le franquisme – obscurantisme, quand tu nous tiens. Alors que la pièce de Bouchard renvoyait au théâtre avec la passion de saint Sébastien, le film d’Almodovar fourmille de références au cinéma ayant bercé le réalisateur, de Breakfast at Tiffany’s jusqu’aux films de Sara Montiel (Esa Mujer). Des icônes religieuses aux stars de cinéma, La Mala Educacion propose une vertigineuse plongée dans un sulfureux univers gay où le maquillage à outrance camoufle beaucoup plus que des traits masculins.
Pensionnaires d’un collège pour garçons, Enrique et Ignacio vivent leurs premiers émois amoureux dans l’obscurité d’une salle de cinéma. Témoin de cette idylle innocente mais profonde, le père Manolo, qui entre en extase telle une sainte Thérèse d’Avila dès qu’il entend la voix d’ange d’Ignacio, fait renvoyer Enrique du collège. Abusé sexuellement par Manolo, Ignacio mûrira longtemps sa vengeance. En 1980, devenu un acteur connu sous le nom d’Angel, Ignacio (Gael Garcia Bernal, remarquable en tous points) retrouve Enrique (Fele Martinez, qui réussit à ne pas se faire complètement éclipser par Bernal), réalisateur en panne d’inspiration à qui il remet une nouvelle relatant leur enfance et imaginant une conclusion, campée à la fin des années 1970 et bien différente de la réalité, où Ignacio, toujours assoiffé de vengeance, serait transsexuel. Bouleversé par ce récit sulfureux, Enrique décide d’en faire un film dont la vedette sera Angel. Bien des surprises l’attendront durant le tournage.
Quoique le récit du transsexuel Zahara imaginé par Ignacio s’avère aussi captivant que l’histoire d’Angel, surtout lorsqu’ils deviennent inextricablement liés et que la terrible vérité se dévoile peu à peu, La Mala Educacion ne suscite pas d’émotions réelles, aucun personnage n’inspirant de sympathie. Toutefois, la plastique kitsch des images séduit, quoique certains effets de montage et de style fassent sourire – comme cette goutte de sang séparant en deux le visage d’Ignacio enfant et le mot "passion" apparaissant dans le dernier plan -, et la structure d’inspiration post-moderne mâtinée de film noir envoûte. Sans atteindre le degré d’émotion de Todo sobre mi madre ou d’Hable con ella, La Mala Educacion s’inscrit aisément parmi les grandes œuvres d’Almodovar tant par la maturité et la pudeur avec lesquelles il aborde la pédophilie que par son audace formelle.
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