Brodeuses : La jeune fille au turban
Cinéma

Brodeuses : La jeune fille au turban

Dans Brodeuses, son premier long métrage, Éléonore Faucher rend hommage aux artistes de l’ombre. Entretien avec la réalisatrice.

Avec ses scènes aux atmosphères feutrées où dominent les verts et les bleus caressants, offrant un contraste parfait avec la crinière rousse de la jeune artisane (Lola Naymark, naturelle), Brodeuses d’Éléonore Faucher ressemble à une suite de tableaux vivants de Vermeer. D’expliquer la réalisatrice jointe à Paris par téléphone: "Je ne suis pas vraiment fascinée par ce peintre; je crois plutôt que c’est mon chef opérateur, Pierre Cottereau, qui l’est. C’est pourquoi il aime créer des clairs-obscurs comme ceux qui illustrent l’univers de madame Melikian. Moi, je suis plus sensible aux œuvres de Matisse; par exemple, la scène où Claire, dont on voit bien les cheveux orange, ouvre une lettre me rappelle Matisse qui peignait en à-plat. En fait, c’est surtout Un ange à ma table de Jane Campion qui m’a inspirée."

À cause de sa sensibilité à la peinture, la cinéaste trentenaire démontre un sens évident du cadrage et de la lumière, lequel sert merveilleusement le récit intimiste ayant pour thème la filiation. Toutefois, dans Brodeuses, ce n’est pas aux grands maîtres de la peinture que Faucher veut rendre hommage, mais aux artisanes de l’ombre, une sorte de métaphore du cinéma pour celle qui a été longtemps technicienne de plateau. Dans l’histoire de la jeune Claire (Naymark), enceinte de cinq mois, qui souhaite donner son enfant en adoption, et de madame Melikian (admirable Ariane Ascaride), qui a perdu son fils dans un accident de moto, Faucher et sa co-scénariste Gaëlle Marcé tissent le drame de deux femmes esseulées qui trouveront réconfort dans leur amour du métier.

Bien qu’elle illustre un métier traditionnellement réservé aux femmes, on sent chez la réalisatrice une volonté féministe de présenter deux personnages féminins qui se suffisent à eux-mêmes et dont les œuvres magnifiques seront choisies par Christian Lacroix: "Il y a une part féministe que j’assume, mais en même temps, ce n’est pas contre les hommes. Je pense que si ces femmes souffrent tant, c’est à cause de l’absence de ces hommes. Je dirais qu’elles sont autonomes du point de vue pratique, mais pas affectif."

Par l’attitude hostile des villageois et l’illustration respectueuse d’un métier ancestral, voire mythique (pensons à Pénélope devant son métier ou aux Parques tissant le temps), Brodeuses semble à la fois anachronique et intemporel: "Nous avons fait exprès pour que l’on ne devine pas l’époque où le film se déroule, car l’histoire qu’il raconte est à mon avis intemporelle. Je ne voulais pas traiter de l’avortement ni de l’accouchement anonyme, mais davantage de l’acceptation de soi, de la maturité que Claire acquiert au fil du récit, que ce soit sur le plan personnel ou professionnel; au contact de madame Melikian, qui ne devient pas une mère de substitution mais un autre modèle féminin, elle apprend à accepter la maternité et à parfaire son art." Et dans ce film enveloppant et sensuel où les émotions passent par un dialogue épuré et des silences éloquents, Éléonore Faucher démontre une belle maturité. Sans contredit, une réalisatrice à surveiller.

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