Tabous : Sexe, mensonges et vidéo
Tabous aura pris trois ans de tournage clandestin pour la jeune réalisatrice iranienne Mitra Farahani, avant qu’on la salue au dernier Festival de Berlin. Entretien avec une cinéaste qui n’a pas froid aux yeux.
En Iran, lorsque les gens veulent s’exprimer sur la sexualité, ils le font généralement en se servant d’allusions poétiques. C’est d’ailleurs pour cette raison que Tabous de Mitra Farahani se divise en deux parties, l’une fictive, l’autre documentaire. Pour le segment poétique, la cinéaste, qui s’avoue non croyante, a choisi d’illustrer un poème d’Iraj Mirza afin de montrer la beauté du désir charnel au pays des Mille et une nuits. Segment maladroitement imbriqué aux témoignages parfois crus ou candides et, disons-le, plutôt inutile puisqu’il semble nous priver de renseignements pertinents sur l’origine des intervenants, femmes mariées et célibataires, prostituées, transsexuels, médecins et mollahs. Surtout, ce segment nous prive d’un commentaire éclairant sur la condition des femmes iraniennes. Farahani, jointe au téléphone à Paris, explique: "En tournant le film, je n’avais pas un public occidental en tête. En fait, je voulais qu’il soit compréhensible pour les Occidentaux, qui n’en ont rien à foutre de la virginité, et choquant pour les Iraniens."
Mais dans un pays où l’on interdit des films jugés trop subversifs comme Le Lézard de Kamal Tabrizi et ceux d’Abbas Kiarostami, qui aura la chance de découvrir un documentaire voulant provoquer le changement? "Forcément, je n’ai pas le droit de montrer le film publiquement, de répondre la réalisatrice. Même pour le présenter en privé, c’est difficile, car il peut fâcher des gens puisqu’il dénonce l’hypocrisie. Dans les milieux intellectuels, il est considéré comme vulgaire à cause du langage; entre Iraniens, nous parlons de façon très vulgaire, mais nous ne sommes pas habitués à voir ce parler à l’écran. Même pour les gens ouverts d’esprit, certains sujets abordés demeurent tabous pour différentes raisons. Il y a tellement de réactions lors des projections que ça devient marrant pour moi! Heureusement, en Iran, il est très facile de se procurer des copies DVD des films défendus…" Voilà qui est rassurant!
Leur visage découvert ou partiellement caché, certaines femmes interrogées par la cinéaste de 30 ans confessent pratiquer la sodomie afin de préserver leur virginité; d’autres confient mener une vie sexuelle active grâce aux sighehs, mariages temporaires hérités de la tradition chiite. Peu importe la vie qu’elles mènent, ces femmes tiennent un discours qui semble ne tourner qu’autour de la sacro-sainte virginité, sans laquelle la femme musulmane ne peut espérer un bon mariage. Des propos qu’on croirait tout droit sortis du Québec de la Grande noirceur, mais qui trouvent malheureusement un écho encore aujourd’hui chez les tenants de la droite chrétienne… De conclure la réalisatrice: " Comme c’est un film qui offre différents points de vue, il devient plus facile pour les gens de s’y reconnaître, que ça les choque ou non. D’ailleurs, il n’y a pas qu’en Iran que ça choque: en Provence, les réactions étaient bien différentes de celles de Paris." Sans doute faut-il saluer le courage de Farahani, mais cinématographiquement parlant, on repassera.
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