André Forcier : Sors-moi donc, Albert
Cinéma

André Forcier : Sors-moi donc, Albert

André Forcier ouvrira le Festival de cinéma des 3 Amériques avec ses États-Unis d’Albert, une coproduction internationale, tournée en partie à Québec. Libre échange.

Avec Les États-Unis d’Albert, le réalisateur du Vent du Wyoming et de La Comtesse de Baton Rouge demeure fidèle à lui-même, en nous transportant dans un univers singulier, peuplé de personnages inusités. "Je voyais un cheik en Arizona, qui traversait le désert où les films de Valentino ont été tournés, mais avec un golfeur, se souvient-il. J’imaginais qu’ils étaient perdus et qu’une espèce de triangle amoureux hantait le héros." Une idée qui donna naissance à l’histoire d’Albert Renaud (Éric Bruneau), jeune acteur montréalais des années 20 s’embarquant pour Hollywood après avoir administré un baiser mortel à sa professeure de théâtre (Andréa Férréol). C’est alors qu’il fait la connaissance d’une jolie activiste mormone (Émilie Dequenne), dont il se voit cependant séparé par les soins d’un rival malveillant…

LES JEUX DE L’AMOUR ET DU HASARD

On aura compris qu’une fois de plus, André Forcier nous parle d’amour. "J’essaie toujours de trouver quelque chose qui fait que le coup de foudre arrive ou que deux personnes se retrouvent envers et contre tous, explique-t-il. C’est-à-dire que tu ne peux pas oublier une fille à qui tu sauves la vie en l’empêchant de s’étouffer avec un noyau de pêche." Il n’en faut d’ailleurs pas davantage pour s’attacher aux tourtereaux, des personnages charmants de naïveté et d’enthousiasme, à l’image de cette œuvre à la conclusion on ne peut plus romantique: "Mieux vaut être aimé par une femme que par le monde entier", résume-t-il.

Une belle histoire donc, mais qui, comme on pouvait s’y attendre, respire aussi l’audace, la fantaisie, l’espièglerie, alors que s’y multiplient les rebondissements inattendus. "J’ai essayé de faire un film où les gens ne s’ennuient pas; je pense qu’il a un bon rythme et qu’on assiste à une rencontre captivante. J’avais en tête des histoires épiques comme Huckleberry Finn, une espèce de "road film" intérieur." Car, en effet, outre quelques très jolies images du désert, l’accent n’est pas mis ici sur les paysages, alors qu’il apparaît évident que plusieurs scènes ont été tournées en studio. Mais le cinéaste y voit de bons côtés: "Le fait de mettre des personnages dans la brume, ça permet de créer un meilleur huis clos pour qu’ils puissent mieux se rencontrer et, moi, je trouve ça très beau. Aussi, le fait de ne montrer que du désert, donc pas véritablement le pays, ça nous offre une autre symbolique."

De même, sous sa plume dont on reconnaît la saveur, la langue et les accents (le français européen représentant l’anglais) perdent en naturel pour gagner en couleurs. "Je trouve que le cinéma est souvent trop psychologique, fait-il valoir. Je ne crois pas que les dialogues de films doivent nécessairement singer ceux de la vie; ils doivent être plus compacts, plus concentrés et plus aphoristiques."

BEAUTÉS AMÉRICAINES

En fait, que ce soit sur le plan de l’histoire, des personnages, des atmosphères ou de la parole, le cinéma semble pour lui question de poésie. "C’est l’art de raconter des histoires avec des images et de faire passer des idées par des émotions; c’est aussi l’art de la métaphore, précise-t-il. Un film qui se passe dans la brume et qui se termine dans le désert, ça fait penser à un président qui est dans la brume et qui envoie des bombes dans le désert… Aussi, cette fin où le narrateur est un truand qui ne se fait pas prendre, ça évoque le cynisme des Américains; c’est une sorte de conclusion ouverte qui devrait laisser le spectateur sur une réflexion."

Critique envers nos voisins du sud, il n’en rejette pas pour autant l’Amérique, qui se présente d’ailleurs comme une de ses icônes de prédilection. "Politiquement, je suis un séparatiste pur et dur, un socialiste doctrinaire. Mais je revendique mon américanité autant que les Mexicains peuvent revendiquer la leur, affirme-t-il. Je crois que les Québécois ont une sensibilité hybride, à la fois européenne et nord-américaine. J’ai la même attirance envers la culture américaine qu’envers la culture française." Ce qui ne l’empêche pas de reprocher aux États-Unis leur impérialisme économique.

D’ailleurs, serait-ce l’influence d’Hollywood? Toujours est-il qu’après six ans de réécriture, il considère que "les films d’auteur sont de plus en plus difficiles à défendre" au Québec. "Ce ne sont pas les auteurs qu’on finance, mais les producteurs et les distributeurs. On met au moins autant d’argent en bandes-annonces et en achat de pub à la télé et dans les journaux, déplore-t-il. Les films de Robert Lepage ne cartonnent pas ici, mais ils sont vus dans le monde entier. Alors si on veut vraiment parler de box-office, qu’on regarde aussi l’influence de ces gens-là à l’extérieur. Vous ne trouvez pas un peu cynique qu’actuellement, tout le fric aille à Aurore, Séraphin et Le Survenant, sans égard à la qualité de ces films, qui sont le fait de bons réalisateurs?" Espérons, à tout le moins, qu’on pourra toujours compter quelques ovnis parmi les étoiles…

Le 30 mars à 20 h, en ouverture du Festival de cinéma des 3 Amériques
Au Cinéplex Odeon Place Charest