Le Rôle de sa vie : L’une joue, l’autre pas
Le Rôle de sa vie, de François Favrat, se veut une version "soft" d’All About Eve de Joseph L. Mankiewicz dans laquelle Agnès Jaoui et Karin Viard se livrent à un duel explosif. Propos du scénariste devenu réalisateur.
Ancien assistant réalisateur d’Olivier Assayas et de Christophe Blanc (Une femme d’extérieur) et scénariste (Bord de mer de Julie Lopes-Curval, présenté au FFM en 2003), François Favrat s’inspire de ses expériences professionnelles et lorgne du côté de Mankiewicz et de Billy Wilder pour brosser un portrait à la fois tendre et grinçant des coulisses du cinéma. Règlement de comptes? Pas du tout, semble-t-il: "Je suis d’abord passé par le scénario parce que je ressemble un peu à Claire, de confier Favrat, rencontré l’été dernier au FFM, mais je souhaitais vraiment devenir réalisateur. En fait, je voulais traiter du rapport entre les gens de notoriété et les gens ordinaires."
Journaliste pigiste pour un magazine de mode, Claire Rocher (Karin Viard) devient l’assistante personnelle, à moins que cela ne soit le chien de poche, d’Elisabeth Becker (Agnès Jaoui), star de cinéma narcissique (pléonasme?). De caractères tout à fait opposés, la première étant timide, gauche et réservée, la seconde, extravertie, autoritaire et capricieuse, les deux femmes vivront une relation professionnelle tumultueuse où l’amitié se révélera aussi difficile qu’intéressée, surtout lorsqu’un séduisant jardinier (Jonathan Zaccaï) entrera en scène. Heureusement, chez Favrat, la substance triomphe sur l’apparence… "J’ignore si c’est comme ça au Québec, de poursuivre le réalisateur, mais en France, je trouve ça ridicule qu’on parle sans cesse des célébrités dans les journaux; j’aimerais bien que les gens se disent en voyant mon film que leur vie n’est pas mal non plus. Les gens sont très souvent subjugués par les stars, allant même jusqu’à changer d’attitude en leur présence, peu savent y résister. Tandis que Claire s’efface devant Elisabeth, le jardinier se montrera agressif envers elle afin de ne pas révéler son trouble. À l’instar du gérant d’Elisabeth, Claire parviendra à dire ce qu’elle ressent. Je trouve qu’on respecte quelqu’un quand on ose lui dire qu’il nous gonfle plutôt que de chercher à fuir cette personne; c’est un acte absolument généreux. En lui disant ses quatre vérités, Claire aidera Elisabeth à s’épanouir."
Fort d’une mise en scène classique, Le Rôle de sa vie repose en grande partie sur des dialogues finement écrits – un peu trop par moments, ce qui alourdit le rythme – dans lesquels Favrat et ses trois coscénaristes (Julie Lopes-Curval, Jérôme Beaujour et Roger Bohbot) se plaisent à dénoncer ces tyrans qui ruinent notre quotidien. Même si on sent parfois de la cruauté dans ce portrait d’actrice, force est de constater que Favrat ne la condamne pas, tel que le prouve cette scène-clé où Elisabeth est en présence de sa mère et de sa grand-mère: "Je voulais montrer la solitude de cette actrice, sa difficulté à devenir mère. Dans cette scène, on découvre qu’il fallait qu’elle devienne encore plus présente que ces femmes afin de pouvoir exister."
Mais au-delà des répliques spirituelles et des situations cocasses, c’est l’interprétation des deux actrices qui vaut le détour. Favrat avoue: "Il fallait être courageux ou inconscient pour diriger de telles actrices, mais être inconscient est un atout quand on se lance dans une telle aventure. Ça s’est bien passé avec les actrices; quand j’ai su qu’Agnès était contente du scénario, je me suis dit "wow!" car elle est très sévère là-dessus. Sur le plateau, elle n’est qu’actrice, pas réalisatrice; je dirais même qu’elle était comme une petite fille lorsqu’on lui a dit qu’elle se déguiserait et qu’elle chanterait en espagnol. Karin Viard n’a pas le même tempérament qu’Agnès, mais disons que c’est du même niveau! Évidemment, la première fois que je les ai vues ensemble, j’ai eu peur… Pour Karin, j’avais le personnage de Jack Lemmon dans The Appartment en tête parce que je croyais qu’elle en avait le côté vif et émouvant. Pour Agnès, c’est en la voyant dans le film de Christophe que je me suis rendu compte qu’elle avait l’énergie et le panache pour incarner Elisabeth. Je ne pourrais pas dire qu’Elisabeth est Adjani ou Béart, disons qu’elle est la somme de plusieurs actrices, journalistes et politiciennes."
En actrice à la maternité frustrée et au talent douteux, si l’on se fie aux extraits de films dans lesquels elle joue (thriller de série B et sous-Almodovar), Jaoui s’avère absolument surprenante, elle que l’on associe davantage aux rôles d’intellos froides; à ses côtés, Viard se montre d’une drôlerie irrésistible dans la peau d’une aspirante romancière coincée. Un duo d’actrices jouissif.
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