Festival de Cannes : Star wow!
Le Festival de Cannes célèbre le septième art alors que tout le monde n’en a que pour les stars. Sur le tapis rouge, aux côtés des célébrités en smoking et robe griffée, les Stormtroopers dans leur uniforme blanc immaculé font hurler de joie la foule rassemblée au pied des escaliers.
L’an dernier, les intermittents causaient un joyeux bordel lors de chacune de leurs manifestations publiques sur la Croisette; cette année, la 58e édition du Festival de Cannes se donne des airs de gravité. Ainsi, sur un mur du Palais, une photo géante d’Ingrid Bétancourt, l’ex-candidate à la présidence de la Colombie, enlevée par la guérilla des FARC le 23 février 2002, et une autre de l’envoyée spéciale de Libération, Florence Aubenas, et de son guide Hussein Hanoun al-Saadi, enlevés en Irak le 5 janvier dernier, nous rappellent que la terre n’arrête pas de tourner en cette quinzaine de strass et de froufrou. Toutefois, cela n’empêche pas la foule de mitrailler les stars avec leur appareil photo, Sophie Marceau d’en perdre ses bretelles… et Sharon Stone de rechercher l’attention des médias en se pavanant sur le tapis avant de disparaître par l’entrée des artistes, sous le regard moqueur des gardiens, bien avant que le film n’ait débuté.
Les grands crus
Ayant l’honneur d’ouvrir le Festival, Dominik Moll ne nous a certes pas déçus avec Lemming, comédie noire et savoureuse où Charlotte Gainsbourg et Charlotte Rampling s’imposent avec force aux côtés des impeccables Laurent Lucas et André Dussolier. Commençant à la manière d’un drame bourgeois franchouillard, Lemming ne tarde pas à glisser vers l’onirisme où planent une inquiétante étrangeté et un parfum de psychose. On sent les influences d’Hitchcock, de Lynch et de Kubrick.
Après avoir signé Elephant et Gerry d’après deux faits divers, Gus van Sant s’inspire des derniers jours de Kurt Cobain et signe une œuvre aussi lyrique qu’hypnotique qui permet au jeune Michael Pitt de livrer une performance remarquable. Un seul bémol: les allers-retours dans le temps qui faisaient la force d’Elephant se révèlent quelque peu gratuits dans Last Days.
De Michael Haneke, Caché trace au scalpel le sentiment de culpabilité d’un critique littéraire (Daniel Auteuil, solide) traqué par un vidéaste voyeur, tout en proposant une métaphore sur le passé colonialiste de la France. Une œuvre mystérieuse et ambiguë du premier au dernier plan. Brillant.
Dans la veine de Rosetta et du Fils, L’Enfant de Luc et Jean-Pierre Dardenne brosse le portrait sans fard d’un jeune délinquant (Jérémie Renier) prêt à tout pour faire de l’argent. Qu’ils captent à distance ou de près leurs protagonistes, les frères Dardenne composent des plans-séquences desquels émane une bouleversante authenticité. Du grand cinéma vérité.
Les bonnes surprises
Kilomètre zéro de Hiner Saleem, road movie irakien campé durant la guerre Iran-Irak, met en scène un soldat kurde et un chauffeur arabe qui doivent traverser le pays afin d’aller porter la dépouille d’un martyr de guerre à sa famille. Un peu superficiel politiquement parlant, mais contenant des images fortes et audacieuses, telles cette longue file de cercueils drapés des couleurs de l’Irak et les apparitions de la statue géante de Saddam dans le désert.
Match Point de Woody Allen |
On n’espère plus que Woody Allen signe un chef-d’œuvre, mais c’est toujours avec impatience que l’on attend son dernier opus. Dans Match Point, la plus que pulpeuse Scarlett Johansson en aspirante actrice américaine vient semer le trouble dans une famille bourgeoise londonienne où tente de s’immiscer un jeune irlandais arriviste (Jonathan Rhys Meyers). Dans ce tableau de mœurs peu flatteur rappelant Crimes and Misdemeaners, Londres remplace Manhattan et les disques éraillés de Caruso, les vieux airs de jazz. Impression de déjà-vu, mais plutôt satisfaisant.
Vu à la Semaine de la Critique: Me and You and Everyone We Know de Miranda July, comédie dramatique plus que charmante où une jeune artiste (July) tente de conquérir le cœur d’un homme récemment divorcé. Rafraîchissant et dénué de cynisme.
Les déceptions
Le synopsis promettait beaucoup: à son retour au Japon, une jeune bénévole enlevée en Irak est frappée d’ostracisme par la population. Fort d’une mise en scène naturaliste, Bashing de Kobayashi Masahiro nous fait découvrir une facette du Japon jusque-là inconnue, mais étire avec complaisance le sort malheureux de son héroïne (touchante Fusako Urabe) sans rien nous révéler de son passé. Les codes d’honneur japonais sont impénétrables pour les Occidentaux…
Election de Johnnie To: un film de gangsters qui cogne et gronde tout en distillant l’ennui. À la fin, on se fout de savoir qui va survivre et deviendra président de la plus antique des triades de Hong-Kong. Le comité de sélection dormait-il au gaz?
Star Wars III: The Revenge of the Sith de Georges Lucas |
Les spectateurs trépignaient d’impatience et grognaient comme des Wookies en attendant que commence le dernier épisode de la célébrissime trilogie de George Lucas. Ainsi qu’on s’y attendait, Star Wars III: The Revenge of the Sith s’avère un gros joujou de luxe dont les combats spectaculaires font oublier la niaiserie des dialogues. Pour fans seulement. Et dire que c’était le film le plus attendu de la sélection officielle…
Suite de Dogville, Manderlay de Lars von Trier propose une critique grinçante de l’esclavagisme. Dans le rôle de Grace, la jeune Bryce Dallas Howard n’arrive pas à la cheville de Nicole Kidman et la mise en scène, quasi identique à celle de Dogville, ne provoque plus de surprise.
Nos prédictions
Pour notre plus grand malheur, nous avons loupé les rendez-vous avec Kim Kiduk, Egoyan, Cronenberg et Jarmusch, mais nous nous consolons en rêvant de les retrouver au Festival de Toronto. Le Festival de Cannes tire bientôt à sa fin; nous avons hâte de voir ce que réservent les frères Larrieu (Peindre ou Faire l’amour), Amos Gitai (Free Zone) et Wim Wenders (Don’t Come Knocking). Qui décrochera la Palme d’Or? Notre cœur hésite entre Caché de Michael Haneke et L’Enfant des frères Dardenne. Parions que le jury décernera son prix spécial à Last Days de Gus van Sant. En ce qui concerne les prix des meilleurs acteurs, nos préférences vont vers Juliette Binoche (Caché) et Jérémie Renier (L’Enfant).