Locataires : L'ombre amoureuse
Cinéma

Locataires : L’ombre amoureuse

Locataires du Sud-Coréen Kim Ki-Duk est une histoire d’amour insolite où se côtoient délicatesse et cruauté.

Dans son nouveau film, Kim Ki-Duk, le réalisateur de Printemps, été, automne, hiver… et printemps parvient à créer un climat onirique d’une rare subtilité, presque entièrement fondé sur le non-dit et sur le "non-geste". S’il fallait résumer l’histoire de Locataires en quelques lignes, on pourrait facilement lui donner des airs de roman de gare. Un jeune vagabond (Jae Hee) entre par effraction dans la demeure d’un couple bourgeois, qu’il croit absent. Il tombe alors nez à nez avec l’épouse (Lee Seung-yeon), que son mari vient de frapper brutalement. Chevaleresque, le jeune homme s’en prend à l’époux violent et emmène avec lui la jeune femme. Victime de circonstances aggravantes, le garçon est accusé de meurtre et mis en prison, tandis que la jeune femme revient auprès de son vil mari, où elle attend patiemment le retour de son amoureux.

À partir de cette histoire aux accents mélodramatiques, le réalisateur a élaboré une fable en demi-teintes sur deux êtres dont l’alliance sentimentale ressemble à un rituel religieux. Il faut savoir que les deux protagonistes n’échangent pas un seul mot de tout le film. Ils communiquent par le regard et, parfois, par des gestes mimétiques qui expriment leur communion.

Comme des Bonnie & Clyde à la sauce bouddhiste, les amants tournent le dos aux conventions de la société en s’introduisant dans des demeures dont les propriétaires sont absents, profitant des lieux en toute civilité (ils font la lessive, ils arrosent les plantes). L’infinie délicatesse du rapport qui se tisse entre ces âmes solitaires et assoiffées d’harmonie est toutefois déchirée par des éclairs de cruauté, que le récit sème aux moments les plus inattendus. Un jour, le jeune homme et la jeune femme tombent sur un vieillard ensanglanté gisant dans sa cuisine. Ils préparent alors la dépouille pour l’enterrer dans la plus grande dignité, mais l’arrivée impromptue du fils de la victime entraîne l’arrestation du jeune homme et la séparation du couple.

Il s’agit là d’un moment décisif dans le récit: le réalisateur accentue alors l’aspect onirique de son histoire, qu’il oriente vers l’un des thèmes chers au surréalisme, l’amour fou. Les deux amants séparés vont continuer à communier à distance. Pour la jeune femme, cette union est vécue à travers un retour aux lieux visités avec son amoureux, ce qui nous vaut une scène magnifique où elle entre dans une maison et s’endort sur le canapé du salon, sans que le couple présent dans la demeure n’ose la déranger. De son côté, le jeune homme se pratique dans sa cellule à "faire le fantôme", c’est-à-dire à se déplacer sans qu’on puisse remarquer sa présence. Il prépare ainsi son retour auprès de sa bien-aimée, à la manière d’une ombre amoureuse. Cette idée procure au film l’une de ses images les plus fortes, soit l’étreinte à trois où le mari enlace sa femme sans se douter qu’elle donne un baiser à son jeune amant, qui se tient derrière lui.

Oeuvre évanescente aux intentions symboliques vaporeuses, Locataires est tissé avec art, grâce au raffinement du cadrage et du montage. Tel un joli film-fantôme, il émeut, envoûte et déconcerte, par petites touches, sans trop déplacer d’air ou faire de bruit.

Voir calendrier Cinéma