Lauréat à Cannes : Gardez-le à l'oil
Cinéma

Lauréat à Cannes : Gardez-le à l’oil

"Lauréat à Cannes". Affublés de ce titre prestigieux, plusieurs réalisateurs verraient leur orgueil prendre des proportions démesurées. Mais l’œil d’Anh Minh Truong voit plus loin, beaucoup plus loin…

Primé dans le cadre de la compétition en ligne de Silence, on court!, en marge du Festival de Cannes, le court métrage Mon œil s’inscrit dans une longue série de films réalisés par le Sherbrookois d’origine vietnamienne, qui refuse de s’asseoir sur ses lauriers. "Je suis moins excité que la plupart des gens le pensent. C’est en jasant avec un de mes amis que j’ai compris pourquoi. En fait, c’est que mon objectif va beaucoup plus loin que ça. Ce prix, j’en suis fier. Je reconnais que ça me donne une visibilité et que ça peut m’ouvrir des portes, mais je le considère comme une étape vers mon objectif", explique-t-il. Quelle est-elle, cette ambition pour laquelle Anh Minh Truong accumule les jours de tournage et les nuits de montage? Un long métrage dans les cinq prochaines années. Et une présence à Cannes, en compétition officielle cette fois-là, d’ici 10 ans. Rien de moins.

Adapté d’une nouvelle qui l’a charmé, Mon œil est son court métrage le plus personnel. Ses deux dernières années à l’Université Concordia lui ont permis de maîtriser plus en profondeur la technique et ainsi de s’investir davantage dans le propos. "J’ai acquis de la maturité et je m’aperçois que j’ai plus de choses à dire. Dans Mon œil, je me suis inspiré de mes souvenirs du secondaire, des sentiments que tu éprouves quand tu as le kick sur une fille. Le ton est plus poétique. Je ne l’ai pas cherché, c’est venu instinctivement. C’est ça la différence: avant, mon travail était plus intellectuel. Maintenant, je me fie de plus en plus à mon instinct."

Le film raconte l’histoire d’un jeune homme qui, en classe, tombe amoureux d’un œil posté à la jonction d’un mur et du plafond, et que lui seul semble remarquer. Sa passion dévorante laisse peu de place à la matière enseignée par un professeur caractériel. "Ce personnage particulier joue son propre rôle. Il a été un de mes profs au Cégep de Sherbrooke, en littérature québécoise. Il m’a fait découvrir tout le potentiel de la culture du Québec." Ainsi, malgré le manque de moyens financiers décrié par nombre de réalisateurs professionnels, Anh Minh Truong n’envisage pas de s’exiler aux États-Unis pour exercer son art. "Ça roule trop au cash. Quoique avec les enveloppes à la performance, on tend un peu vers ça… C’est dommage! Mais je pense sincèrement que ça peut fonctionner ici. Je suis de la génération du numérique. Je suis habitué de tout faire avec presque rien."

Ce "presque rien", qui s’élève à quelques milliers de dollars par production, le jeune cinéaste le débourse entièrement. Cofondateur des Productions Cri/Art, un collectif de création cinématographique de Sherbrooke, il compte sur le travail bénévole de son équipe et des acteurs. Jusqu’ici, son emploi en restauration lui a permis de financer tous ses films. Depuis quelque temps, il décroche aussi des contrats de réalisation qui lui rapportent plus, en moins de temps.

Son dernier court métrage, Blackout, a été tourné en format 16 mm à Cookshire, dans une maison isolée. "C’est mon film le plus minimaliste et le plus audacieux, dans sa forme et dans sa trame narrative."

Il est possible de visionner ses courts métrages sur le site Internet des Productions Cri/Art, au www.criart.org, et sur celui de Silence, on court!, qui vaut à lui seul le détour, au www.silenceoncourt.tv. Et gardez-le à l’oeil!