Le Fantôme de l'opératrice : Vie et mort d'une opératrice
Cinéma

Le Fantôme de l’opératrice : Vie et mort d’une opératrice

Le Fantôme de l’opératrice, plus qu’un documentaire sur l’histoire des téléphonistes, est un essai filmique envoûtant sur la mise en image de ces femmes et leur effacement progressif devant la montée de la technologie triomphante.

À la fois documentaire, film de montage et film d’essai, ce moyen métrage de la documentariste Caroline Martel (Dernier appel) met en perspective l’évolution du métier de téléphoniste en Amérique du Nord, de 1903 jusqu’à la fin des années 1980.

À l’aide d’un montage habile regroupant des extraits provenant de près d’une centaine de films industriels produits pour Bell et d’autres entreprises de télécommunication, Caroline Martel raconte la naissance et l’évolution de cette véritable icône de la culture occidentale qu’est l’opératrice.

"Tout a commencé il y a plus de neuf ans avec un film de fin d’études à l’université, rappelle la réalisatrice. Je voulais faire un projet qui tournerait autour de l’histoire culturelle du téléphone en mettant l’accent sur l’image des téléphonistes. Ça m’avait semblé la manière la plus intéressante de pénétrer le sujet".

Le Fantôme de l’opératrice montre comment l’industrie des télécommunications, pour faire la promotion du téléphone, a créé de toutes pièces cette image de belle jeune femme moderne (dans le sens… victorien du terme) qui, la voix souriante, est toujours là au bout du fil pour assurer la liaison entre les interlocuteurs.

Afin de créer ce mythe, le monde du cinéma fut mis à contribution. Il fallait montrer le plus possible ces jolies opératrices afin d’attirer les jeunes filles en grand nombre et d’ainsi assurer le développement du réseau; et aussi, stopper les tentatives de syndicalisation.

Mais les centaines de films qui mirent en vedette les opératrices dès le début du vingtième siècle ne disaient évidemment pas tout. "Au début des années 20, les opératrices faisaient jusqu’à 1000 appels par jour. Certaines s’évanouissaient au travail. Mon film est donc aussi une critique de l’hypocrisie de la mise en scène du progrès. Les films d’entreprises étaient tellement faux, qu’ils en étaient fascinants".

Mais rapidement la technologie progresse et les compagnies pourront commencer à se passer petit à petit des téléphonistes. "Je disparaissais des fils, je disparaissais des films", dit la voix-off du film de Martel. La perte d’influence des opératrices coïncidera en effet avec leur disparition progressive des films corporatifs, qui montreront désormais la technologie plus que l’humain.

Mais comment raconter, dans un film de montage, la disparition? "Comment raconter la réalité, si les images de cette réalité n’existent pas?" C’est alors que s’impose l’idée maîtresse du film, celle du fantôme et de cette voix d’une opératrice du passé, venue d’une autre dimension. Cette voix-off, au sourire quelque peu amer, incarnée avec âme par Pascale Montpetit, fait contrepoint à ces images de femmes souriantes. Cette voix permet aussi à Martel de montrer ce que les images ne disent plus et d’évoquer cette fameuse réalité que l’on dissimulait.

Au-delà de ce portrait sur le métier d’opératrice, le film est d’une belle richesse narrative. La réalisatrice a su agencer les archives de façon à les faire interagir sur plusieurs tableaux et dimensions. Aussi, Le Fantôme de l’opératrice illustre à la fois l’histoire d’un moyen de communication, l’histoire de l’image de la femme et, enfin, jette un regard original sur un pan négligé de l’histoire du cinéma. "Mon film est aussi un hommage au cinéma industriel et à ses artisans qui sont restés dans l’ombre".

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