Innocence : Les petites fées
Cinéma

Innocence : Les petites fées

Pour créer Innocence, Lucille Hadzihalilovic s’est inspirée, à l’instar d’Argento pour le film Suspiria, d’une nouvelle de Wedekind. Entrevue avec la réalisatrice qui signe un premier long métrage fort prometteur.

L’an dernier, Fantasia présentait La Bouche de Jean-Pierre, moyen métrage de Lucille Hadzihalilovic brossant le portrait tragique d’une fillette élevée par sa tante à la suite de la tentative de suicide de sa mère. L’ensemble, austère, dur et efficace, annonçait en quelque sorte l’angoisse troublante émanant de son premier long métrage: "Effectivement, on retrouve dans les deux films quelque chose de lié à l’angoisse de l’enfant, de la peur de l’inconnu ou d’être dans un lieu où l’on doit retrouver des repères; je crois qu’il n’y a rien de plus effrayant pour un enfant que de perdre sa mère", affirme la réalisatrice rencontrée lors du dernier Festival du Nouveau Cinéma.

Enfermées dans un mystérieux pensionnat au cœur d’une forêt dense, des fillettes sont initiées à la danse par mademoiselle Éva (Marion Cotillard) et aux sciences naturelles par mademoiselle Édith (Hélène de Fougerolles), sortes d’enfants prisonnières dans un corps de femme; lorsqu’elles atteignent la puberté, les petites élèves sont relâchées dans le monde. À les voir gambader dans la forêt, telles les petites fées des légendes anglaises, tout de blanc vêtues et portant des rubans dans les cheveux, les fillettes d’Innocence semblent vivre le rêve de tout enfant, soit celui d’être libéré de l’autorité des parents. Autour d’elles, s’affairent de silencieuses domestiques âgées qui les servent sans pour autant leur donner l’affection maternelle dont les fillettes sont cruellement privées: "Je pense que ça me plaisait de faire un film où il n’y a que des enfants parce que c’est anormal et angoissant, mais en même temps excitant, car vient un moment dans l’enfance où les adultes restent mystérieux et en arrière-plan, alors les enfants font leur éducation entre eux, en quelque sorte."

S’inspirant d’une nouvelle de Frank Wedekind, à laquelle elle a ajouté une dimension de révolte et de refus de soumission, la cinéaste signe un conte onirique et intemporel, un film baignant dans un climat d’inquiétante étrangeté qui rappelle par instants Pique-nique à Hanging Rock de Peter Weir: "J’adore ce film, qui m’a beaucoup marquée, mais c’est presque inconsciemment qu’on y trouve des références. En fait, mes vraies influences sont du côté de la littérature anglaise, comme Peter Pan, Mary Poppins ou des histoires de collège, et du cinéma fantastique, notamment Dario Argento, qui d’ailleurs s’était inspiré de la même nouvelle pour Suspiria. Une des raisons pour lesquelles je voulais faire le film, c’était l’image d’une enfant vivante sortant d’un cercueil; dans la nouvelle Mine-Haha, ou l’éducation corporelle des jeunes filles, c’était une caisse, mais cela m’apparaissait clairement comme un cercueil… peut-être parce que j’aime les vampires et que, d’emblée, je voulais qu’on se retrouve dans un autre monde, montrer qu’on n’est pas dans la réalité, mais dans un conte."

Bien qu’elle fût monteuse de Carne et de Seul contre tous de Gaspar Noé, son conjoint à qui elle dédie ce film, l’univers de Hadzihalilovic n’a rien à voir avec celui du réalisateur d’Irréversible: "Gaspar est quelqu’un de très doué visuellement et en même temps de très humain, donc il m’a influencée tant sur le plan cinématographique qu’humain. Cela dit, nous avons des visions du monde très différentes." Pourtant, une certaine cruauté, voire une violence en sourdine, traverse Innocence. Par exemple, en voyant les fillettes s’offrir en spectacle devant des adultes ou tâtées comme des chevaux par l’assistante de la directrice, on a la troublante impression de se retrouver devant un réseau de prostitution: "En effet, et c’est ce qui rend le film angoissant; mais pour moi, c’est clair qu’il ne s’agit pas d’un marché d’esclaves; par exemple, en danse classique, il y a des critères physiques à respecter et ça me plaisait d’exagérer ce point, ce qui rend la directrice du pensionnat terrifiante."

Bénéficiant d’une trame sonore qui accentue davantage l’insolite de l’ensemble, Innocence se perd malheureusement souvent en longueurs, lesquelles provoquent l’ennui. Toutefois, le décalage constant entre la fantaisie et le réalisme suffit à maintenir l’intérêt du spectateur jusqu’au dernier plan.

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