Aurore : Fond de terroir
Aurore, de Luc Dionne, raconte le célébrissime fait divers de 1920 pour dénoncer le silence régnant autour de la violence. Entrevue avec le scénariste-réalisateur qui n’a pas la langue dans sa poche.
Au Québec, nous semblons vouer un culte aux martyrs, aux victimes et aux losers, tels les Patriotes défaits par l’armée britannique ou Émile Nelligan sombrant dans la folie à 19 ans; et lorsque certains d’entre nous deviennent "big", comme Maurice Richard ou Céliiine, nous aimons bien nous rappeler qu’ils étaient au départ nés pour un p’tit pain. Faute de véritables héros, nous lorgnons parfois avec plaisir du côté des criminels que nous appelons par leur prénom, comme le chef des Hell’s ou l’ex de Paul Bernardo. Pas de quoi se surprendre alors que la triste histoire d’Aurore Gagnon fasse encore couler de l’encre: "Je trouve que c’est d’un intellectualisme mal placé et flagorneur, c’est épouvantable de dire une affaire de même, de s’écrier Luc Dionne. Je suis en désaccord total avec ça. Quand on tente de prouver un point ou d’avancer un énoncé et qu’on le soutient avec des exemples très spécifiques qui viennent appuyer cette thèse, c’est facile, n’importe quel cave est capable de faire ça. La cinématographie québécoise, c’est pas ça! Est-ce qu’on tombe dans le misérabilisme parce que Perrault est allé filmer des pêcheurs pour réaliser un chef-d’œuvre comme Pour la suite du monde?"
Soit, mais pourquoi raconter cette histoire aujourd’hui? Dionne confesse: "J’ai voulu refaire cette histoire-là parce que j’avais l’impression qu’elle n’avait jamais été faite. Au début, ça ne m’intéressait pas; Aurore, c’est l’histoire d’un grenier, d’une femme complètement malade (Hélène Bourgeois-Leclerc) qui frappe sur sa belle-fille (Marianne Fortier), d’un père trop nono (Serge Postigo) pour s’apercevoir de ce qui se passe. En lisant sur Aurore Gagnon, dont je croyais connaître l’histoire, je suis tombé sur l’histoire d’Oréus Mailhot (Rémy Girard), marchand général et juge de paix de Sainte-Philomène-de-Fortierville. Je me suis rendu compte qu’il aurait pu s’appeler Réjean Mailhot et être né à Gagnonville en 1960, tellement rien n’a changé. Ma démarche, c’était de montrer qu’il est facile de pointer des institutions, de se déresponsabiliser comme citoyen, de blâmer la société."
Librement inspiré du livre Aurore, la vraie histoire, d’André Mathieu, ce mélodrame démontre le minutieux travail de recherche auquel s’est livré le scénariste des télé-séries Omertà , Bunker, le cirque et Le Dernier Chapitre, qui a tenté d’interpréter les documents d’archives et les dires des témoins de l’époque afin de faire la lumière sur ce célébrissime fait divers. Par exemple, il est le premier à avancer qu’Aurore aurait perdu une petite sœur dans d’étranges circonstances et à dévoiler le destin du curé du village (Yves Jacques).
Contrairement à l’horripilant navet de 1952, La Petite Aurore, l’enfant martyre, de Jean-Yves Bigras, Aurore ne consiste pas en une suite de sévices corporels plus horribles les uns que les autres. De fait, Dionne installe (très) lentement tous les éléments du récit avant que ne débute l’horreur, qu’il préfère suggérer et faire entendre (les cris de la petite martyre donnent froid dans le dos) plutôt que de la montrer.
Cela dit, les personnages, que certains défendent avec ferveur tels Rémy Girard, Yves Jacques et Francine Ruel, qui interprète la voisine bienveillante, manquent cruellement de profondeur. À trop vouloir les respecter sans les juger, Dionne lance plusieurs pistes à propos de la maladie mentale de la marâtre, dont il n’a pas voulu illustrer le dur passé afin d’éviter de tomber dans le misérabilisme, et de la lâcheté du père d’Aurore, à tel point que, malgré leur talent, Bourgeois-Leclerc et Postigo ne se révèlent pas toujours convaincants. Quant à la jeune Fortier, elle fait montre d’une belle sensibilité en jeune fille en communion avec la nature, que le scénariste aura l’audace de transformer en athée suicidaire.
N’échappant ni au pathos ni au kitsch emprunté à l’iconographie chrétienne, Aurore souffre d’une trame sonore trop présente (signée Michel Cusson), de l’utilisation abusive de fondus au noir et de cartes postales bucoliques qui ralentissent le récit: "C’est le scénariste qui raconte son histoire en tournant les pages, c’est aussi une espèce de respiration dont on a besoin. Les images de la nature, c’est le contraste entre l’univers microscopique intérieur d’Aurore et la beauté de la nature. À mon avis, le plus grand plan du film, c’est l’araignée qui attend sa proie dans sa toile, comme la marâtre."
À entendre Dionne parler avec passion de la vraie histoire d’Aurore Gagnon, force est de regretter que celui-ci n’ait pas tourné une télé-série où il aurait pu aborder ce qui est réellement intéressant dans ce récit sordide: le procès des parents et la fureur médiatique qu’il a suscitée. Ainsi, on aurait peut-être compris comment un fait divers devient légende.
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