Last Days : Nevermind
Last Days n’est pas la biographie du défunt chanteur de Nirvana, mais on s’en fout un peu. Fantomatique et troublant, le nouveau Van Sant frappe fort.
Avis aux intéressés: le jeu de piste conduit tout droit à un cul-de-sac. Avec Last Days, Gus Van Sant ne s’emploie pas à reconstituer factuellement les nébuleux derniers jours de Kurt Cobain, rock star mythique et suicidée. Si le réalisateur avoue s’être librement inspiré de ce "fait divers" célèbre, il établit clairement, à la fin de son film, le caractère fictif des personnages qu’il a mis en scène. À prendre telle une évocation poétique. D’accord.
Cela dit, le fantôme de Cobain colle aux basques de Blake, jeune musicien turbide rappelant, autant par le corps que par l’esprit, le souvenir du disparu – ces tiffes blondes et ces froques grunge, ce regard hagard… Conséquemment, d’entrée de jeu, on est très tenté de chercher des clés, d’établir des rapprochements. Or, ce désir d’enquêter s’estompe rapidement, car le film commande un autre type de réception.
Peu bavard, Last Days livre par bribes l’information nécessaire à établir du sens. Il y a du brouillard dans l’air. On devine que le protagoniste traverse une passe difficile. Retranché dans un immense château décrépit, quelque part dans les bois, Blake (Michael Pitt) passe ses journées à errer sans but, à éviter les colocs qui veulent lui siphonner de l’argent et à fuir le téléphone qui lui rappelle ses responsabilités.
Le premier contact avec le bonhomme est intrigant. On le croise au milieu des arbres. Il a l’air d’un spectre en pyjama battant la campagne. Il rentre à la maison. Son domaine évoque ces propriétés inquiétantes où vivent généralement des maniaques à la tronçonneuse. Ici habite un jeune rocker déboussolé, qui fait le tour des pièces en robe de bal avec une carabine à l’épaule. Mauvaise vibe, dirait-on.
DÉCODEUR REQUIS
Le portrait qu’esquisse Van Sant est impressionniste. Son Blake serait un ange déchu? On ne saurait dire. Le réalisateur l’observe, présente son quotidien dans ce qu’il a de plus normal. Pas de quoi alimenter un mythe. Ni le déboulonner. Au spectateur de faire le travail, c’est-à-dire de décoder (ou non) la psychologie du héros.
Comme Gerry (2002) et Elephant (2003) avant lui, Last Days s’inspire d’un événement d’actualité qui, utilisé comme un tremplin, permet au réalisateur de sauter du réel au sublimé. Plutôt que de relater la chose à l’ancienne, en filant une trame narrative et en coulant un scénario dans le béton, Van Sant imagine une histoire, en partie improvisée, qui pousse plus loin sa démarche expérimentale.
Le recours à l’ellipse, la construction en boucle, la fragmentation du point de vue, ces procédés façonnaient déjà la structure de ses deux œuvres précédentes. Ils trouvent ici des applications pratiques extrêmement riches et originales.
Et quel genre de réception doit-on envisager pour ce film carrément hors norme? Honnêtement, le capital commercial de Last Days sera vite dilapidé. Son nirvana est plutôt à trouver sur le circuit des films-cultes, en toute légitimité.
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