FFM : Dernier survol
Cinéma

FFM : Dernier survol

À quelques jours de la fin du FFM, rien d’extraordinaire à signaler, mais tout de même quelques découvertes.

LA PHARMACIE DE L’ESPOIR

DE FRANÇOIS GOURD (CANADA)

Beaucoup de gens veulent faire du cinéma, mais peu survivent au processus d’écriture, de soumission, de réécriture, du budget, de préproduction, etc. François "Fass Binn" Gourd a ignoré tout ça. Il voulait faire un film, il l’a fait. Pas de scénario, pas d’argent, un seul jour de tournage. Évidemment, ça aide d’avoir des amis talentueux prêts à participer à l’expérience, tels que le musicien Tomás Jensen, le cinéaste André Melançon, l’artiste Armand Vaillancourt ainsi que les comédiens Stéphane Crête et Pascale Bussières. La Pharmacie de l’espoir, tourné au Café Esperanza (dans le Mile End, coin St-Laurent et St-Viateur), est une série de saynètes impliquant un pouf heureux, une partouze de massage de pieds, une partie de Scrabble surréaliste et autres absurdités. Cela peut sembler n’importe quoi, mais on se retrouve ici devant une œuvre surprenante de cohésion, où divers personnages farfelus font des chassés-croisés improvisés, où poésie, humour et musique s’allient en une quête commune du bonheur. (1er septembre, Cinémathèque québécoise)

SWEET MEMORY

DE KYRIAKOS KATZOURAKIS (GRÈCE)

Issu de la peinture, de la scénographie et du documentaire, Kyriakos Katzourakis signe ici sa première fiction, un fourre-tout expérimental où l’on passe aléatoirement du présent au passé, de la couleur au noir et blanc, des lents fondus enchaînés aux faux raccords saccadés, du grec au russe à l’anglais… Certains verront ici le reflet stylistique de la quête elliptique de la protagoniste du film, une Ukrainienne qui erre dans diverses bâtisses délabrées d’Athènes, en attendant de retrouver son demi-frère héroïnomane, mais l’impression dominante est celle d’un mauvais film étudiant. Malgré (ou à cause de) la multiplication des effets de style ratés, Sweet Memory demeure un film morose et terne, comme le personnage féminin qu’il dépeint. (1er, 2 et 3 septembre, Cinéma Parisien)

LOOKING FOR ANGELINA

DE SERGIO NAVARRETTA (CANADA)

En 1911, à Sault Ste. Marie, trois ans seulement après avoir immigré au Canada, une jeune femme d’origine italienne tue brutalement son mari avec une hache. L’affaire fait les choux gras des journaux, particulièrement après que des pressions populaires sauvent de la peine de mort Angelina Napolitano, qui avait été longtemps battue et maltraitée par son époux. Comme la nouvelle version d’Aurore qui sévit toujours sur nos écrans, Looking for Angelina est une œuvre aux intentions honorables, c’est-à-dire de sensibiliser les gens aux actes de violence familiale, mais dramatiquement et cinématographiquement parlant, le travail des scénaristes et du réalisateur laisse à désirer. La reconstitution historique et le jeu des acteurs, notamment celui de Lina Giornofelice dans le rôle principal, sont convaincants, mais le film serait plus à sa place à CBC un dimanche soir que dans un festival. (1er septembre, Cinéma ONF)

DEVAKI

DE BAPPADITYA BANDOPADHYAY (INDE)

Profondément féministe, ce film dénonce la façon dont les femmes de tout horizon peuvent être traitées comme des objets, et ce, par l’entremise de la correspondance entre Devaki, une villageoise de caste inférieure forcée de devenir la quatrième épouse d’un vieillard de 70 ans, et Nandini qui, même si elle est éduquée, indépendante et urbaine, ne reçoit pas le respect des hommes autour d’elle. Dans la plus pure tradition bollywoodienne malgré l’absence de numéros dansants, Devaki est mélodramatique mais efficace, porté par les émouvantes performances des actrices Suman Ranganathan et Perizaad Zorabian. Le sujet est tragique, particulièrement si l’on considère qu’il est basé sur un fait vécu, mais le film déborde de couleur et de beauté. La composition visuelle du réalisateur et du directeur photo Rana Dasgupta est à couper le souffle et certaines séquences, comme celles entre Devaki et un fugitif avec qui elle a une aventure, sont incroyablement sexy et romantiques. (4 septembre, Cinéma Parisien)

LADIES & GENTLEMEN… MR. LEONARD COHEN

DE DONALD BRITTAIN (CANADA)

Tourné en 1965, ce documentaire n’en est pas moins moderne et actuel. Leonard Cohen est Montréal, tout comme Leonard Cohen est l’amour doux-amer. Leonard Cohen est ce sentiment qu’on ressent lorsqu’on est éveillé à 4 h du matin dans une chambre d’hôtel bon marché. Ce film, quoique trop court (44 minutes), offre un aperçu fascinant de Cohen en tant que jeune poète-écrivain-chansonnier, avant qu’il ne devienne une sensation "pop". Réalisée par Donald Brittain, cette œuvre est très représentative du cinéma vérité de l’ONF de l’époque, balançant information et lyrisme, à mi-chemin entre le reportage télé et la Nouvelle Vague. Nous suivons Cohen dans Montréal, dans les foules et dans la solitude, et nous apprenons à le connaître un peu mieux grâce à de brèves entrevues et à la narration, généralement tirée directement des écrits de Cohen. À voir ou à revoir. (2 septembre, Cinémathèque québécoise)

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BRÈVE RENCONTRE AVEC MAGGIE CHEUNG

Maggie Cheung dans 2046 de Wong Kar-Wai.

Maggie Cheung a joué dans 75 films, mais dit n’en aimer que 10 et n’être fière de seulement 3 d’entre eux: Comrades, Almost a Love Story, de Peter Chan Ho-Sun, Clean, d’Olivier Assayas, et In the Mood for Love, de Wong Kar-Wai, dont la suite, 2046, prend l’affiche à Montréal ce vendredi. La semaine dernière, elle nous accordait une entrevue lors de son court séjour en ville pour recevoir un hommage au Festival des films du monde.

Pourquoi ne nommez-vous pas Héros comme l’un des films dont vous êtes le plus fière?

"C’est un bon film sous plusieurs aspects, mais pas en tant qu’acteur."

Il y a pourtant une certaine complexité, vous jouez un personnage sous différents angles.

"C’est ce que je ressentais quand j’ai lu le scénario, mais quand nous tournions le film, ce n’était pas exactement ce que j’avais imaginé. Les œuvres précédentes de Zhang Yimou étaient beaucoup plus intimistes. Et à la lecture, je sentais qu’il y avait plusieurs niveaux au récit. Juste parce que vous racontez une histoire d’une façon et que je la raconte d’une autre façon, on peut changer toute une vie, le monde entier. Il y avait couche sur couche des messages dans le script, mais ils se perdent dans le film parce qu’il y a tant de choses à absorber visuellement, et tout se déroule si vite."

Vous préférez donc des films plus romantiques comme ceux de Wong Kar-Wai?

"En général, oui. Dans ces films, je peux faire plus de ce à quoi je suis douée."

Il est surprenant de constater à quel point votre rôle y est limité.

"Nous n’avons pas filmé beaucoup de matériel. Et tout est utilisé dans le film! J’ai tourné environ deux semaines, mais c’était plutôt des tests. Nous avons tourné ces scènes une seule fois et d’habitude, c’est la répétition. Mais je n’ai jamais eu l’occasion de revenir une deuxième fois pour refaire ces scènes, alors elles sont comme des essais, à mes yeux."

Néanmoins, la présence de son personnage se ressent dans tout le film, comme un fantôme continuant de hanter l’esprit. Même après avoir quitté la suite d’hôtel, Maggie Cheung elle-même continue de hanter l’esprit. On peut penser ce que l’on veut du FFM, l’hommage à cette grande actrice était assurément justifié.

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GROS PLAN SUR KILOMÈTRE ZÉRO

Kilomètre zéro de Haner Saleem.

Entre les grands crus et les petites déceptions du dernier Festival de Cannes brillaient quelques surprises, dont Kilomètre zéro, du réalisateur né au Kurdistan irakien Hiner Saleem (Vodka Lemon). Road movie irakien campé durant la guerre Iran-Irak, Kilomètre zéro met en scène un soldat kurde rêvant de fuir la dictature de Saddam Hussein (Nazmo Kirik) et un chauffeur arabe (Robert Alazraki) qui doivent traverser le pays afin d’aller porter la dépouille d’un martyr de guerre à sa famille.
Une rareté à voir, étant donné la situation du cinéma en Irak: "En 80 ans, l’Irak a produit dans toute son histoire moins de films que l’Inde en produit en 3 heures ou que la France en produit en 2 jours, c’est-à-dire moins de cinq films, raconte le réalisateur rencontré à Cannes. À huit ans, j’ai été surpris de découvrir qu’à la télé, les gens ne parlaient pas notre langue, et je me suis juré de faire passer le kurde dans cette machine."
Cela dit, cette réalisation de Saleem, réfugié politique résidant à Paris, n’est pas le premier film de fiction à illustrer le triste sort des Kurdes forcés de quitter leur pays malgré toutes ses richesses, à l’instar du héros, personnage inspiré par le frère du cinéaste. Ainsi, l’Allemand Roland Susa Richter en rendait compte dans le cruel Pour une poignée d’herbe de même que le grand réalisateur kurde Ylmaz Güney avec Yol. Cependant, Saleem n’arrive pas à susciter autant d’émotions que ses prédécesseurs, préférant la distanciation: "Je suis assez pudique, assez discret, mais je n’ai pas envie non plus de créer un film sans haine", se défend celui qui s’avoue ravi de la chute de Hussein, peu lui importait que cela vienne des Américains ou des Français.
Plutôt superficiel politiquement parlant – pour en savoir davantage, on devra s’en remettre à son récit autobiographie, Le Fusil de mon père -, Kilomètre zéro comporte néanmoins des images fortes et audacieuses, telles cette longue file de cercueils drapés des couleurs de l’Irak et les apparitions de la statue géante de Saddam dans le désert. Un film risqué? "Vers la fin du tournage, au Kurdistan, raconte le réalisateur, un officier de la sécurité m’a pris à part pour me dire de tout cacher après le tournage parce qu’il avait appris qu’un groupe de terroristes voulait se faire passer pour une équipe de tournage." (1er et 2 septembre, Cinéma Parisien)