La Rue zone interdite : Sur le vif
La Rue zone interdite, de Gilbert Duclos, s’interroge sur l’avenir de la photographie publique. Entrevue avec le photographe.
Prix du meilleur reportage au 23e Festival du film sur l’art, La Rue zone interdite est le cri du cœur du photographe Gilbert Duclos (créateur de certaines des plus belles pages de couverture du Voir dans les années 90), qui inspira bien contre son gré l’arrêt Duclos, une décision de la Cour suprême interdisant de publier des photos d’inconnus sans leur permission. Un simple cliché montrant une jeune femme assisse à l’entrée d’une banque, publié dans le magazine Vice-Versa en 1988, déclencha la saga judiciaire qui continue de préoccuper Duclos, le film qu’il a réalisé en étant la preuve.
Avez-vous gardé la fameuse photo du Vice-Versa?
"Oui. Ça fait partie de l’Histoire. Maintenant, on m’étudie à l’université, je suis devenu un cas. Il y avait déjà eu des gens utilisés à leur insu dans des publicités qui ont poursuivi, avec raison. Mais c’était la première fois par rapport à une image documentaire."
En plus de rencontrer des photographes, éditeurs et juristes québécois et américains, Duclos s’est rendu en France où les poursuites par rapport au droit à l’image (ou est-ce le droit à l’argent?) sont très répandues. Toutefois, contrairement à ici, il n’y a pas encore eu de jugement aussi tranché: "En France, ça fonctionne par juridiction, explique Duclos, chacun des tribunaux peut prendre des décisions contradictoires. D’ailleurs, quand j’étais là en juin dernier, il y a eu une décision juridique qui était vraiment pour le photographe. Il commence peut-être à y avoir un revirement de situation en France. Tandis qu’ici, la Cour suprême chapeaute tout."
Est-ce une loi qui interdit carrément de photographier sans permission ou est-ce une loi qui dit qu?fon prend le risque de se faire poursuivre?
"Moi, je dis aux gens, prenez le risque! Parce que c’est tellement ridicule, si on suit ce jugement à la lettre, la photographie de rue, tu ne peux plus en faire. La photographie humaniste, dont je suis un adepte, pour faire une bonne photo de ce type-là, il faut en faire beaucoup. Ça va au-delà du photographe. C’est un peu la magie, tout d’un coup, il se passe quelque chose à un coin de rue, tu vois quelque chose et tu es prêt, tu le fais. On peut facilement imaginer que si à chaque image que je fais, je dois passer des heures à m’expliquer aux gens et leur demander de signer un papier comme quoi ils me cèdent leur droit à leur image, je n’en ferai plus de photo. Il se trouve que depuis 150 ans, il y a ce que j’appellerais des photographes flâneurs, qui marchent dans la rue et qui regardent. Doisneau, Cartier-Bresson, Elliot Erwitt, Robert Frank, Marc Riboud… Ils se sont promenés, certains autour du monde, d’autres dans leur petit patelin, ils ont photographié la vie autour d’eux et en ont fait des livres. Aujourd’hui, on regarde ces livres-là et on rêve."
On rêve aussi un peu en regardant le documentaire de Gilbert Duclos, qui s’interroge sur des problèmes actuels, mais qui en profite aussi pour rendre hommage à sa profession. Plusieurs grands de la photo (Marc Riboud, Elliott Erwitt, William Klein, Janine Niepce, Willy Ronis et d’autres) sont interviewés alors que leurs images tapissent le film. Comme pour montrer ce que nous perdrons si les cours ont raison de la spontanéité créatrice et de ces fragments de mémoire collective, capturés par l’œil subjectif des photographes.
Avant La Rue zone interdite, l’Ex-Centris présente L’Horloge interne, le portrait de Denis, un horloger de 40 ans qui en paraît 14 en raison d’une maladie ralentissant son développement. Simple mais touchant, ce court métrage documentaire est porté par la musique de Marie-Annick Lépine et par l’optimisme inébranlable de Denis.
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