Marron : Passer à la créole
Cinéma

Marron : Passer à la créole

Avec Marron, la piste créole en Amérique, second volet de sa série de documentaires retraçant la francophonie à travers le continent américain, André Gladu montre que, avant même le passage de l’ouragan Katrina, la culture créole en Louisiane était menacée. Rencontre avec le réalisateur.

Bien que Marron se veuille festif et inspirant, la catastrophe naturelle et sociale affligeant présentement la Louisiane trouve des échos sinistres dans le film, possiblement un des derniers documents montrant La Nouvelle-Orléans telle qu’elle était auparavant. André Gladu en est conscient: "Comme je procède beaucoup par intuition, ce qui est dit dans le film, l’esprit des Marrons, des Créoles et des Noirs qui ont toujours eu à se battre pour leurs droits, qui ont toujours eu à vivre dans un environnement difficile, c’est comme si, dans le présent, on le revoyait se jouer à nouveau."

On appelle Marrons les esclaves en fuite qui se réfugièrent dans les bois et marécages entourant La Nouvelle-Orléans. Leur instinct de survie et leur soif de liberté demeurent une inspiration pour le peuple créole, issu du métissage entre Français, Espagnols, Africains, Antillais et Amérindiens.

Les Marrons sont des figures méconnues de l’Histoire américaine. Croyez-vous que c’est parce que ce qu’ils représentent fait peur à certains?

"En partie. La Louisiane a toujours posé un problème politique aux États-Unis. Même quand ils l’ont achetée en 1803, ils ne savaient pas comment contrôler ce monde-là. Il y a un mélange des gens qui s’est fait relativement naturellement et ça a créé une population différente. Ces Marrons ont une notion de la liberté qui ne vient pas juste des textes de la Constitution, c’est dans l’action que ça se passe. Les valeurs de liberté et de respect des droits nous viennent de l’expérience de gens comme eux."

Ce mélange dont vous parlez est évident dans le film. On n’est jamais sûr de la nationalité des intervenants.

"Prends un type comme Joseph Mouton, le joueur d’accordéon: il est africain, amérindien, français, il a du cajun, de l’espagnol et de l’italien. C’est fantastique! C’est pas juste des trucs ethniques et raciaux, ce mélange-là se retrouve dans sa langue, dans ses idées, sa conception de la vie, sa compréhension des gens. Et quand il joue, quand il chante, il exprime ses sentiments, mais il transporte aussi sa culture. Sa musique est un témoignage exceptionnel."

Pour raconter le parcours de la culture créole, Gladu fait appel à des figures fortes tels le curé de la plus vieille paroisse catholique afro-américaine et un Québécois-Haïtien enseignant le français et la culture afro-antillaise à de petits Louisianais qui n’en sauraient rien autrement. Marron incorpore aussi des gravures, photographies et dessins anciens et des images d’archives, incluant des extraits de documentaires précédents de Gladu comme Liberty Street Blues et Zarico. Si le film peut parfois paraître un peu gris et désolant, avec ses images de Mardi gras hivernal et de bars presque déserts, il trouve sa vigueur dans la musique, échappatoire privilégiée de la culture créole depuis l’époque des plantations.

"Les esclaves de Congo Square, explique Gladu, étaient amenés à l’église par leurs frères affranchis. Ils ont pris les histoires de la Bible et ont inclus ça dans leurs chansons africaines. La rencontre de ces deux affaires-là a donné entre autres le gospel et une forme de blues très particulière à La Nouvelle-Orléans, qui est un blues joyeux. Tandis que dans le Mississippi, c’est plutôt la plainte de quelqu’un qui souffre, les Créoles, qui ont quelque chose d’antillais, ont pris les mêmes accords et structures de blues et les ont accélérés pour pouvoir danser."

Au moment d’écrire ces lignes, André Gladu est sur le point de s’envoler pour l’Alberta afin de faire du repérage pour le prochain volet de sa série, qui s’intéressera aux Métis. En attendant, Marron, la piste créole en Amérique est un film tristement actuel, montrant une culture déjà menacée, avant même que la nature s’en mêle. "Je souhaite qu’il reste assez de Marrons dans la place pour qu’ils soient capables de s’en sortir", conclut le cinéaste.