A History of Violence : Journée d’Amérique
Avec A History of Violence, David Cronenberg signe son film le plus accessible sans pour autant perdre en style ou en substance. Rencontre avec le réalisateur, Maria Bello, Ashton Holmes et William Hurt, interviewés lors du Festival de Toronto.
Adaptation d’un roman iconique de John Wagner et Vince Locke, A History of Violence met en scène une famille sans histoire de l’Indiana qui voit sa vie bouleversée lorsque arrivent en ville des membres de la pègre irlandaise de Chicago (voir la critique de Michel Defoy).
Pourquoi avez-vous opté pour un rythme lent, de longs plans et une approche naturaliste afin d’illustrer la descente aux enfers d’une famille paisible?
"Nous aimons vivre notre vie de façon tranquille et confortable, explique David Cronenberg, pourtant, nous savons que si nous vivons assez longtemps, nous affronterons un jour ou l’autre des moments horrifiques, des tragédies, des séparations et, bien sûr, la mort. Dans mon film, j’ai essayé de livrer une version intensive de la vie d’un homme qui tente d’être un bon citoyen mais que la vie amènera à commettre des actes sortant de l’ordinaire. Évidemment, il s’agit d’une vie à l’américaine, car dans certains pays, la violence est quotidienne. En campant l’action dans un village, je voulais donner l’impression d’une vie trop parfaite, donc suspecte, car la vie n’est pas qu’une oasis de tranquillité, pas plus à la ville qu’à la campagne où toutes sortes de créatures se battent pour leur survie."
Lorsque la violence survient, le contraste est d’autant plus fort, notamment lorsque vous montrez le visage des victimes.
"L’idée de confronter le spectateur avec des gros plans de visages défigurés, c’était de démontrer ce qu’est réellement la violence. Les gens aiment la violence, mais aiment-ils vraiment les marques qu’elle laisse? La violence qui m’intéresse particulièrement est celle qui meurtrit le corps humain, c’est une violence intime entre deux corps qui se rencontrent, c’est pour cela qu’il n’y a pas de poursuites en automobiles ni d’explosions, par exemple. Nous nous sommes inspirés de photos pour créer ces blessures; parfois, les gens rêvent de tirer sur quelqu’un, mais ils n’ont aucune idée de ce qui pourrait en résulter. Lorsque Tom (Viggo Mortensen) tue un homme, il réalise avec effroi la portée de son geste, bien que celui-ci soit justifié; en fait, l’idée était de démontrer que, justifiée ou non, la violence ne peut être que dévastatrice."
Ces plans servent donc en quelque sorte à gifler le spectateur?
À la fois terrifiant et hilarant dans la peau du chef de la pègre, apparition très courte qui vaut absolument le détour, William Hurt pense tout autrement: "Avec un tel film, nous avons la chance d’explorer la douleur qu’amène la violence. Pour moi, ce film n’est pas une gifle; au contraire, A History of Violence permet de voir la violence sans en porter le blâme, sans donner l’envie de commettre des gestes violents, je dirais même que le film donne davantage envie de la fuir. Au cinéma, ce que l’on présente n’est que le spectacle de la violence, quelque chose qui nous excite. Cronenberg, en véritable sondeur de l’âme humaine, tente de nous éloigner de cette violence; lorsqu’il montre ces images effroyables, ce n’est pas fait gratuitement."
Ashton Holmes, qui interprète avec sensibilité Jack, le fils de Tom et Edie (Maria Bello), poursuit: "Ce qui me fascinait le plus dans le scénario, c’était l’évolution des personnages. Par exemple, Jack est d’abord un adolescent à la fois candide et lucide; après avoir été témoin d’actes de violence, il découvre ce qui sommeille en lui, et devient alors un jeune homme marqué au fer rouge parce qu’il a dû commettre des gestes. La grande idée du film, c’est de se demander si la violence peut être héréditaire; au spectateur de trouver la réponse en lui. Je crois que dans notre culture, il y a quelque chose de pervers puisque plusieurs sont attirés par la violence. C’est intéressant que l’on retrouve cette fascination chez mon personnage, qui incarne une génération engourdie par la violence tant elle est ancrée au cinéma, à la télé et dans les jeux vidéo."
L’homme et son double
Considéré comme le film le plus accessible de Cronenberg, A History of Violence explore cependant un thème cher au cinéaste, celui de la dualité. Cronenberg raconte: "Parfois, j’ai l’impression que les gens croient que j’ai en tête une liste de tous les thèmes que je veux traiter; pourtant, lorsque je lis un scénario, je ne pense pas à ce que j’ai fait auparavant, je me demande plutôt si j’aimerais faire le film ou non. Je n’analyse pas vraiment ce qui s’y trouve afin de faire un lien avec ce que j’ai fait auparavant; évidemment, je suis conscient que certains thèmes m’attirent plus que d’autres. Quant aux critiques, ils avanceront que je traite une fois de plus du thème de l’identité; en fait, on pourrait voir ce film comme l’antithèse de Spider où le personnage n’arrivait pas à se forger une identité, alors que Tom, au contraire, a une identité très forte."
La dualité des personnages s’illustre particulièrement au cours d’une scène qui en a choqué quelques-uns…
Incarnant Edie avec un bel aplomb, Maria Bello répond tout de go: "Je ne fais pas de différence entre la sexualité d’Edie et ce qu’elle mange au petit-déjeuner, pour moi, il s’agit d’une idée puritaine à l’américaine. Lorsque nous avons créé le personnage d’Edie, il était clair qu’elle avait un côté, disons, masculin au départ, qu’elle était le chef de famille, mais que plus le récit avançait, plus elle perdait ses points de repère, elle devait donc se reconstruire. La costumière Denise Cronenberg et moi avons choisi une garde-robe qui faisait ressortir certains traits de caractère d’Edie, sa façon de diriger et de protéger les autres."
Cronenberg poursuit: "Dans la scène des escaliers, Edie est confrontée aux deux versants de la personnalité de Tom, elle est à la fois attirée et rebutée par lui. Il ne s’agit pas d’un viol, mais d’un moment où tous deux découvrent quelque chose qui leur était encore inconnu après 20 ans de mariage; il s’agit d’une scène capitale pour l’avenir du couple car ils devront accepter ou non leur nouvelle vie. Cette scène se voulait le miroir de celle où Edie se déguise en cheerleader afin d’exciter Tom… En fait, ce qui est le plus intéressant dans ces deux scènes, c’est qu’elles démontrent que le désir peut survivre chez un couple marié depuis longtemps."
À notre humble avis, une scène d’une grande puissance qui prouve que personne ne reviendra indemne de ce voyage au bout de la violence.
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