Saints-Martyrs-des-Damnés : Village fantôme
Cinéma

Saints-Martyrs-des-Damnés : Village fantôme

Avec Saints-Martyrs-des-Damnés, Robin Aubert présente une vision sans compromis, imparfaite mais débordante d’originalité. Entretien avec le réalisateur.

Bien que Saints-Martyrs-des-Damnés soit son premier long métrage, Robin Aubert n’est pas un nouveau venu derrière la caméra. Il a réalisé plusieurs courts (dont Lila, qui fut finaliste au gala des Jutra) et nombre de vidéoclips pour divers artistes (Mara Tremblay, Okoumé, Plume Latraverse). Aubert a aussi longtemps travaillé comme acteur: à la télévision, dans Radio-Enfer (aux côtés de François Chénier) et Temps dur; et au cinéma, dans Le Nèg’ et La Comtesse de Baton Rouge.

Aubert nous confie, à la fois touchant et cocasse au fil de l’entrevue: "On dit souvent qu’un acteur qui réalise, c’est un meilleur directeur d’acteurs; moi je ne trouve pas. Un bon réalisateur, c’est celui qui choisit les bonnes personnes, tout simplement. Bien diriger, c’est amener les acteurs dans le sentier que tu veux, mais en même temps, s’ils te proposent un autre sentier, il faut que tu sois à l’écoute aussi. Ce que j’aime comme auteur, c’est créer plusieurs personnages à la fois."

N’aviez-vous pas envie de jouer dans votre film?

"Vraiment pas, j’avais d’autres chats à fouetter. J’admire ceux qui sont capables de le faire, comme Woody Allen ou Clint Eastwood, mais moi, je ne suis pas rendu là. Il y a tellement de choses à penser. Quand je tournais, je passais la nuit à "rechecker" mon découpage pour le jour suivant, à retravailler mes dialogues… J’aurais pas eu le temps en plus d’apprendre mon texte et de jouer. Je suis pas une pieuvre, hostie!"

Vous parliez de l’importance de choisir les bons acteurs, est-ce que c’est la même chose pour l’équipe technique?

"C’est très important. Steve Asselin à la photo, David Pelletier, qui a fait les décors, et Julie Charland, qui a fait les costumes, ont travaillé avec moi en court métrage et en vidéoclip. Ils connaissent ma vision et savent ce que j’aime. Avant même de tourner, ça faisait déjà un an qu’on travaillait sur les décors, les costumes… Je trouve que dans le cinéma québécois et le cinéma en général, on a l’impression que tout le monde sort de chez Gap ou Simons, ça a jamais été délavé. Crisse, mettez un peu de vie, faut que ça soit sale. Le monde parle dans un décor d’IKEA, tabarnak, c’est quoi ça?"

Dans Saints-Martyrs-des-Damnés, un reporter (Chénier) et un photographe (Patrice Robitaille) sont envoyés par un journal à sensation dans un village étrange où les disparitions mystérieuses se multiplient depuis des années. Offrant peu de repères au spectateur, le film sort littéralement des sentiers battus.

Aubert poursuit: "Pour moi, c’est important de créer un effet d’intemporalité, qu’on ne sache pas en quelle année on est. Il n’y a pas de références ancrées dans la réalité. Je dis aux spectateurs: regardez, vous embarquez dans un trip. Vous avez le choix d’embarquer ou non. L’intemporalité, ça me permet d’aller plus loin aussi dans l’imaginaire, puis de parler de clonage, disons, sans tomber dans le côté scientifique."

L’idée du clonage vous a-t-elle été inspirée par les avancements de la science?

"Non, ça provient plus du fantastique. En écrivant, un autre gars pareil à l’autre est apparu à un moment donné. Qu’est-ce qu’il fait là, lui? Même en tant qu’auteur, je ne le savais pas; j’écrivais beaucoup avec le subconscient. Une fois le scénario fini, je suis allé étudier des documents pour m’aider. Mais ce n’est pas un film sur le clonage, c’est un film sur l’identité, c’est une quête spirituelle."

Il y a beaucoup de changements de ton, ça passe du très sérieux à des moments plus drôles.

"La vie, c’est comme ça. Et puis, il n’y a rien de plus le fun que d’entendre rire dans une salle ou de voir le monde sauter tous en même temps. C’est bon aussi de leur faire se poser des questions, de les toucher… Je suis sûr qu’il y en a qui auraient mieux aimé continuer dans le côté horreur, mais ce n’est pas juste un film de peur pour moi."

En effet, le film est vraisemblablement à son meilleur lors des scènes d’amour avec le personnage d’Isabelle Blais.

"Je suis un romantique, je ne le cacherai pas. Mes influences, c’est Démétan, Albator, puis Candy. Pour moi, le cinéma doit évoquer aussi la poésie. Il faut que ça exprime quelque chose, comme quand tu rêves ou quand tu fais l’amour."

C’est cette volonté de brouiller les limites entre les genres qui fait de Saints-Martyrs-des-Damnés plus qu’une version grand écran de Grande Ourse ou un sous-Twin Peaks. Sous ses allures grotesques et fantastiques, le film se révèle très humain et personnel. Alors qu’on y retrouve des échos de Lynch, d’Argento, de Cronenberg et même de Rimbaud ("Je me crois en enfer, donc j’y suis"), on découvre surtout en Robin Aubert un cinéaste qui nous réserve sûrement bien d’autres surprises.

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