De battre mon cour s’est arrêté : Double vie
Dans De battre mon cœur s’est arrêté, de Jacques Audiard, l’irrésistible et fougueux Romain Duris incarne un malfrat qui souhaite devenir pianiste. Entrevue avec l’acteur et le réalisateur lors de leur passage au FNC.
C’est en 1993, dans Le Péril jeune de Cédric Klapisch, que nous apparaît pour la première fois Romain Duris. Véritable diamant brut, le jeune comédien peaufinera par la suite son jeu chez Klapisch, dont il deviendra l’acteur fétiche, et chez Tony Gatlif, avec qui il tournera Gadjo Dilo et Exils. Propulsé au rang des stars grâce au grand succès de L’Auberge espagnole, Duris, 31 ans, brille de mille feux dans De battre mon cœur s’est arrêté de Jacques Audiard, où il trouve le plus grand rôle de sa courte mais prolifique carrière.
Le sujet du film ainsi que son rythme très américain ne sont pas sans rappeler L’Audition de Luc Picard. En fait, De battre mon cœur… est le remake très personnel, et nettement supérieur, de Fingers de James Toback, dans lequel Harvey Keitel incarne un escroc camé rêvant de devenir pianiste. Pour les besoins de l’adaptation, Audiard et Tonino Benacquista ont transposé l’action de New York à Paris, et les mafieux sont devenus des magouilleurs du monde de l’immobilier, univers exploré par le réalisateur et son coscénariste dans Sur mes lèvres.
Après avoir croisé l’impresario de sa défunte mère, Tom (Duris), jeune malfrat suivant les traces de son père (Niels Alestrup, pathétique et monstrueux à souhait), décide de préparer une audition afin de devenir pianiste de concert comme l’était sa mère. Répétant sous la direction de Miao-Lin (Linh-Dan Pham), jeune pianiste chinoise ne parlant pas français, Tom arrive difficilement à concilier les deux pôles de sa vie.
Ayant déjà exploité avec brio le thème de la dualité dans Un héros très discret, Audiard poursuit avec la même maestria son exploration d’une âme déchirée entre sa triste réalité et ses idées de grandeur, tout en signant un bouleversant récit aux accents œdipiens. Afin d’illustrer l’état d’esprit de son protagoniste, le brillant réalisateur privilégie des plans-séquences mouvementés où la caméra nerveuse poursuit sans répit Duris. En résulte un émouvant drame psychologique noir et haletant qui permet au jeune acteur de donner la pleine mesure de son talent.
De battre mon cœur… est essentiellement une suite de plans-séquences; qu’est-ce que cela représente pour un acteur?
Romain Duris: C’est fatigant, certes, mais c’est aussi très agréable de travailler en plan-séquence, car on sent moins, comment dire, la fausseté du cinéma. Lorsqu’on découpe trop une scène, en champ/contrechamp, par exemple, on rentre dans la cuisine du cinéma, on s’éloigne de la réalité que l’on retrouve au théâtre. Dans le plan-séquence, on touche donc à cet effet de réel, d’autant plus que Jacques aime bien faire entrer la vie et les imprévus dans ses scènes. En fait, le plus fatigant, c’était de garder cette énergie frénétique qu’a Tom; disons que j’étais plus à l’aise devant le piano, même si ce n’est pas moi qui joue, mais bien ma sœur Caroline.
Jacques Audiard: Si j’ai choisi de privilégier le plan-séquence, c’était par grand souci de réalisme. Nous avons tourné dans des décors naturels, des lieux exigus, il fallait donc donner la sensation qu’il y avait plus d’espace. Lorsqu’on fait une mise en place pour un plan-séquence, on retrouve une façon plus libre de filmer et aussi une durée réelle de l’action.
Vous semblez affectionner les cadrages serrés…
J.A.: Oui, mais j’aimerais bien que ce soit autrement! Chaque fois que je revois mes films, je me rends compte qu’il n’y a pas de plans larges ni de plans d’établissements, alors que pendant le tournage, j’essaie d’en faire.
Votre film possède un rythme très américain, comment expliquez-vous cela?
J.A.: Je ne sais pas; c’est sûr que c’est un remake du film de Toback, ce qui nous ramène aux seventies, à une époque du cinéma qui m’a beaucoup marqué, l’époque de Taxi Driver.
Contrairement à vous, Benacquista n’a pas du tout aimé Fingers lorsqu’il l’a vu; comment avez-vous réussi à le convaincre de co-écrire le scénario?
J.A.: Il n’avait pas aimé le récit de Sur mes lèvres non plus… Cela explique bien les rapports entre un réalisateur et son scénariste, il faut savoir convaincre, et dans cette action de convaincre se construit le scénario.
Après avoir vu Harvey Keitel dans le film de Toback, ressentiez-vous une certaine pression à l’idée de reprendre son rôle?
R.D.: Pas du tout! C’est un personnage plutôt hermétique, très moderne. Comme Jacques le disait, il souhaitait être plus près du réel, donc c’est un voyou, mais on ne le voit pas se servir d’armes. En fait, ce n’est pas une copie, mais plutôt une adaptation du personnage créé par Keitel.
Quel genre d’acteur êtes-vous?
R.D.: Je dirais que je suis dans l’instinctif, je ne suis pas dans l’analyse. Au départ, je jouais des personnages près de ma nature, je n’avais pas besoin de me prendre la tête, surtout que je n’en avais pas les moyens. Il y a cinq ans, lorsque j’ai tourné L’Auberge espagnole, je me suis rendu compte que je n’aimais pas mon personnage, j’ai donc ressenti le besoin d’aller lire des bouquins sur la construction du personnage afin de pouvoir l’aimer. C’est à partir de là que j’ai commencé à m’interroger sur la nature des personnages que je devais incarner et à pouvoir créer leur histoire; une fois que j’ai inventé leur passé, je me laisse aller.
Pourquoi avez-vous modifié la fin du récit?
J.A.: J’ai gardé le morceau joué par Keitel – les Toccatas de Bach – parce qu’il s’agit d’une pièce rigoureuse. Si j’avais choisi un morceau romantique, Tom aurait dû mettre du pathos, ce qui est impossible puisqu’il n’a pas d’âme, ou du moins, il croit qu’il n’en a pas. Changer la fin du récit, que nous ne supportions pas Benacquista et moi, ça nous permettait de laisser Tom du côté des vivants, de lui donner une âme.
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