L’Annulaire : Quelque chose d’organique
Dans L’Annulaire, de Diane Bertrand, Olga Kurylenko incarne une jeune fille qui développe une étrange relation dominant-dominée avec son patron. Rencontre avec la belle actrice ukrainienne.
Après s’être légèrement coupé à l’annulaire, Iris (Olga Kurylenko, parfait mélange de candeur et de perversion) quitte son travail à l’usine et s’installe dans une ville portuaire où elle partage une chambre d’hôtel avec un marin qui travaille de nuit (Stipe Erceg, décoratif) et trouvera un emploi dans un ancien pensionnat pour jeunes filles recyclé en laboratoire où l’on fossilise des souvenirs. En peu de temps, Iris et son employeur (Marc Barbé, mystérieux et stoïque) s’engagent dans une troublante liaison charnelle.
Drame fantastique au climat onirique envoûtant, L’Annulaire de Diane Bertrand (Un samedi sur la terre) nous entraîne dans un univers qui n’est pas sans rappeler celui des contes de fées (Barbe-Bleue, Cendrillon) et celui de Lucille Hadzihalilovic, qui signait récemment le fort beau et inquiétant Innocence: "J’ai été séduite tout de suite par cet univers mystérieux, plein de zones grises où il y a un suspens constant, raconte Kurylenka avec son léger accent slave. Après avoir lu le scénario de Diane, j’ai lu le roman de Yoko Ogawa dont il s’inspire; j’ai tellement adoré cet écrivain que je suis allée lire la moitié de son œuvre! Diane a vraiment respecté le roman, les dialogues sont à peu près les mêmes; elle n’a fait qu’ajouter les personnages du marin et du petit garçon. Tout l’univers du roman est comme dans le film, c’est-à-dire que rien n’est expliqué: on s’imagine des choses et puis on se rend comte qu’on n’a rien compris… on attend la fin, et la fin n’explique rien. En fait, il n’y pas de vérité absolue dans ce film, chacun y apporte la sienne. Moi, j’aime bien parce que c’est du fantastique, mais en même temps, ça peut arriver dans la vie. C’est une histoire normale à la fois un peu étrange et un peu perverse."
De fait, cette histoire de jeune fille soumise à un amant plus âgé, on a déjà vu. Cependant, ce n’est pas tant cela qui nous intéresse que les motivations d’Iris, elle qui semble complètement désincarnée après avoir perdu un petit bout de sa chair, laquelle sera envahie par le cuir de ses chaussures rouges offertes par l’homme du labo. Dans un état somnambulique, elle vivra deux histoires d’amour, l’une fantasmée, l’autre réelle. Et de cette histoire d’amour bien charnelle, la réalisatrice compose des scènes d’un érotisme mécanique, découpant le corps magnifique de Kurylenko en morceaux.
Mannequin depuis l’âge de 15 ans, actrice sans formation ayant joué dans quelques courts métrages, la jeune femme avoue ne pas avoir été intimidée de se dévêtir, mais avoir trouvé plus difficile de prétendre faire l’amour à l’écran: "Le fait d’être mannequin m’a sans doute aidée à ne pas craindre l’objectif; je dois dire que gamine, j’aimais déjà la caméra, ça se voit dans les films de famille de ma mère. Quant aux angles de caméra, peut-être que d’autres acteurs y arrivent, mais moi, je ne me souciais pas de la caméra, je préférais l’oublier afin de me concentrer sur le jeu et ne pas prendre de poses. Pour les scènes d’amour, comme c’était tourné avec une équipe réduite et que ce n’était pas vulgaire, j’ai pu me laisser aller… en me disant que ce n’était pas Olga mais Iris que l’on voyait."
D’abord effrayée par la beauté de Kurylenko, Bertrand lui a finalement confié le rôle d’Iris; entre les deux femmes, toutes deux scorpions, de mentionner en riant l’actrice, une complicité s’est vite développée: "Nous avons beaucoup discuté du personnage avant le tournage, mais une fois sur le plateau, Diane me laissait faire, elle ne voulait pas trop me conditionner, elle voulait que je reste naturelle – elle m’a même interdit de voir les rushs alors que j’étais super curieuse de me voir! Lorsque j’ai décidé de faire du cinéma, j’ai compris qu’il ne fallait pas répondre aux critères de beauté du mannequinat. Ça me plaisait de ne pas avoir à "être belle" pour le film; je n’ai pas besoin de me prouver quoi que ce soit. Je n’ai pas demandé de traitement spécial, ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient avec moi parce qu’au fond, je suis du matériel. Pour moi, c’est ça, la beauté, se laisser transformer."
Illuminé par le visage pur de Kurylenko et porté par la musique planante de Beth Gibbons (Portishead), L’Annulaire épouse un rythme languissant; peu à peu les plans fixes illustrant la vie apparemment banale d’Iris confèrent à l’ensemble un climat d’inquiétante étrangeté. Tour à tour troublé, voire inconfortable, le spectateur, à l’instar d’Iris dans les bras de son amant, s’abandonnera à l’extase.
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