Petit Pow! Pow! Noël : La mort avec mon père
Dans Petit Pow! Pow! Noël, de Robert Morin, un homme décide d’en finir avec son père. Un face-à-face percutant avec la maladie, la vieillesse et la folie dont on ne sort pas tout à fait indemne. Tête-à-tête avec le cinéaste.
C’est bien connu, Robert Morin ne fait pas dans la dentelle. Comme il se plaît lui-même à le dire, ses films font parfois l’effet d’une rondelle de hockey que l’on recevrait entre les dents et qui y resterait coincée. Et c’est pour ça qu’on l’aime et qu’on en redemande à chaque fois! Maso? Que nenni! Comment résister à l’appel d’un cinéaste qui aime brasser la cage, brouiller les frontières entre fiction et réalité, et ce, sans jamais tomber dans le racolage? Mis sur la "mappe" en 1992 grâce à son Requiem pour un beau sans-cœur, Morin, réalisateur d’une trentaine de films, connaît son heure de gloire en 2002 avec Le Nèg’, son film à plus gros budget, où il casse les dents du racisme.
Armé d’une caméra à l’épaule, Morin revient à une forme qui n’est pas sans rappeler celle de Yes Sir! Madame et de Quiconque meurt, meurt à douleur, afin de livrer une œuvre-choc qui ravira ses inconditionnels et ébranlera ceux ne s’étant jamais encore collés à son œuvre et qui y verront peut-être une version hard de La Vie avec mon père ou des Invasions barbares… Retour en arrière ou urgence de créer?
"Je ne veux jamais rien faire au départ; tout ce que je fais, je le fais spontanément. Je ne voulais ni faire le procès d’une génération ni critiquer le système de santé; je considère que mon père a été bien traité au CHSLD, que je présente de façon hyperréaliste. Pour moi, ce n’est pas contradictoire de revenir à cette simplicité; j’avais envie de faire quelque chose de spontané, de plus intimiste. Je trouvais que le sujet s’y prêtait. C’est sûr que si j’avais demandé des subventions, on aurait refusé parce que personne ne croit qu’un scénario de 90 pages de voix off peut se faire."
Incarnant un homme à l’équilibre mental quelque peu inquiétant, Robert Morin filme en caméra subjective sa rencontre avec son père, qui vit dans un centre hospitalier de longue durée à la suite d’un accident l’ayant rendu paralysé, dont il souhaite faire le procès et qu’il veut ensuite éliminer. Par cette nuit de Noël, le personnel infirmier veille tout de même au grain, ce qui viendra contrecarrer les plans du fils.
Ponctué d’images bouleversantes, tel ce changement de couche ou cette douche d’eau bouillante administrée par le fils, et de répliques cinglantes où percent haine et rancœur, Petit Pow! Pow! Noël sème l’émoi d’abord parce qu’il nous renvoie à un futur que personne n’a envie de vivre, mais surtout, parce que le vieillard que l’on torture et insulte sans vergogne n’est nul autre qu’André Morin, père du cinéaste, décédé il y un an et demi.
Seul projet constructif entre cet homme handicapé et ce fils s’étant toujours senti éloigné de son père qui parlait peu, Petit Pow! Pow! Noël prend d’abord vie sous la forme de films de famille. Lorsque Morin fils a l’idée d’écrire une fiction en s’inspirant de sa vie familiale, Morin père embarque sans hésiter – mais non sans grogner quand vient le temps de reprendre certaines scènes. Devant l’engouement pour la télé-réalité et les biographies sensationnalistes paraissant régulièrement, hésite-t-on à livrer ainsi des images aussi intimistes?
" Pour moi, la télé-réalité ne fait pas de drame ni de fiction à proprement parler; elle n’utilise pas du tout les mêmes stratégies que moi. Je crée de la fiction en l’alimentant de faits réels qui font appel à l’esprit voyeur des gens, un fait que la télé-réalité a compris bien tard. C’est sûr que quelqu’un qui voit mon film se demande où commence et se termine la fiction. "
Par respect pour son père, le film, véritable thérapie pour Morin fils, a bien failli ne jamais paraître à l’écran – le cinéaste confesse qu’il en aurait fait tout autant s’il cela avait été l’un de ses comédiens fétiches (Gildor Roy, Robin Aubert ou Jean-Guy Bouchard) – , mais par respect pour le travail d’acteur d’André Morin, il a décidé de sortir le film. Sans vouloir nécessairement rassurer le spectateur, il a aussi choisi d’inclure une scène où l’on voit les deux hommes discutant tranquillement, sans doute l’une des moments les plus émouvants du film.
En peu de temps, ce que l’on croyait être un règlement de compte avec le système hospitalier s’avère une tragédie au sens propre du terme – avec respect des trois unités en prime.
"La tragédie est devenue un tabou; aujourd’hui, on n’a pas de trouble à regarder des tragédies de Sophocle ou de Shakespeare, où les fils tuent père et mère, mais quand on les transpose dans notre monde, on se fait dire qu’on n’a pas le droit de faire ça. Le fond de l’histoire, ce sont les revendications de tout le monde à propos de leurs parents; moi qui pensais que j’étais tout seul à avoir vécu ça! C’est pour ça que j’ai pris ce banal-là pour le "garrocher" dans le tragique. (rires) J’ai choisi de raconter l’histoire en 24 heures et dans un seul lieu parce que j’aime présenter mes personnages en bout de course. J’adore l’aspect théâtral du huis-clos: ça colle à la peau, les personnages ne peuvent pas fuir, tout le monde est gris dans un huis-clos, il n’y a ni bons ni méchants. Pour un acteur, je pense que c’est ce qu’il y a de plus l’fun à faire."
Enfin, grâce à une boîte de whippets, les deux hommes arriveront à un terrain d’entente. Et Morin d’avouer qu’il s’agit-là de son œuvre la plus optimiste. Un tournant dans sa carrière?
"Pour moi, il y a deux fins remplies d’espoir, deux fins heureuses dans mon film. C’est rare que je fais ça! C’est un film étrange, mais je pense qu’il va bien vieillir. Depuis que j’ai écrit ce film-là, tout ce que j’écris me semble plus optimiste… On verra bien.", conclut le réalisateur.
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