Rois et Reine : La mante religieuse
Rois et Reine, d’Arnaud Desplechin, trace en parallèle les destins d’une femme et d’un homme qui se sont aimés et qui se retrouveront. Une œuvre riche qui allie avec un parfait équilibre la tragédie shakespearienne et la comédie burlesque.
Les premières notes de Rois et Reine sont celles de Moon River, de Henry Mancini, chanson mélancolique immortalisée dans le pétillant Breakfast at Tiffany’s, de Blake Edwards. Pourtant, l’héroïne d’Arnaud Desplechin qui défile à l’écran cache des secrets plus sombres que la légère Holly Golightly imaginée par Capote. De fait, avec son prénom emprunté à l’épouse malheureuse de Maison de poupée d’Ibsen, Nora (Emmanuelle Devos, extraordinaire) connaîtra un destin marqué par la fatalité.
Sur le point de se remarier, Nora apprend que son père souffre d’une grave maladie. Consciente de sa propre mortalité, elle souhaite alors qu’Ismaël (formidable Mathieu Amalric, qui n’est pas sans rappeler un jeune Roman Polanski) adopte Elias, le fils qu’elle a eu de son premier mari, décédé avant la naissance du gamin, et qu’elle a élevé avec Ismaël. Toutefois, celui-ci est interné à l’hôpital psychiatrique à la demande d’un tiers.
Entre les mains d’un réalisateur moins doué, Rois et Reine aurait pu verser dans le mélo larmoyant ou la grosse farce indigeste. Or, dans ce film où les spectres des morts viennent nous hanter comme chez Shakespeare, les grands drames cèdent la place à de délicieux moments de folie – l’arrestation d’Ismaël par deux infirmiers loufoques ou sa confrontation avec la psychiatre incarnée avec aplomb par Catherine Deneuve – sans qu’il y ait quelconque dérapage.
Alliant avec aisance le tragique au comique, Desplechin joue allègrement avec les ruptures de ton. Ainsi, c’est lors d’une confession, face à une caméra, qu’un père livre une déclaration de haine à sa fille; plus tard, il semble évoquer le Dogville de Lars von Trier alors qu’il reconstitue sur scène un drame longtemps refoulé dans l’inconscient de Nora. Des choix audacieux qui ne nuisent en aucun temps à l’ensemble. Enfin, la palme de la plus belle scène revient sans contredit à celle où Ismaël, fou magnifique, livre ses secrets de la vie à Elias. De la pure poésie, comme on en voit rarement au cinéma.
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