Qui a tiré sur mon frère? : Pays sous influence
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Qui a tiré sur mon frère? : Pays sous influence

Qui a tiré sur mon frère? lève le voile sur la face cachée de la violence en Colombie. Rencontre avec le documentariste Germán Gutiérrez.

Qui a tiré sur son frère? La question restera sans réponse, mais, par effet de ricochet, elle ne manquera pas d’en soulever d’autres. Germán Gutiérrez était parti avec l’idée de faire la lumière sur la tentative d’assassinat commise contre son frangin, le député de gauche Oscar Gutiérrez. Au final, le documentariste d’origine colombienne aura dressé le sombre portrait d’un pays au bord de l’implosion. Théâtre de luttes armées entre narcotrafiquants, guérilleros et groupes paramilitaires, la Colombie doit aussi composer avec la présence sur son territoire de l’envahissant "ami américain". Pas évident. S’appuyant sur des témoignages éloquents et des images fortes, le réalisateur de Martin’s Infierno explique la genèse des maux qui minent la Colombie. À la fois exposé géopolitique et témoignage personnel, Qui a tiré… se démarque par son regard éclairé et éclairant. Costaud.

Vous êtes allé présenter votre film à Bogotá récemment. Comment a-t-il été accueilli?

"C’était génial! D’abord, la salle était pleine à craquer pour les deux représentations. Après le visionnement, on a eu une discussion d’une demi-heure. J’avais peur, en présentant le film en Colombie, que les gens n’apprennent rien (de neuf). Je me suis aperçu que, bien au contraire, le public colombien apprend énormément."

L’idée de ce documentaire découle de la tentative d’assassinat commise contre votre frère. Or, celui-ci s’est montré réticent à parler. Est-ce cela qui vous a amené à élargir le propos?

"C’est une analyse assez juste. Au départ, je voulais faire un film plus intimiste avec mon frère. Or, en parlant avec lui, j’ai senti le besoin d’élargir. L’enquête aurait été dangereuse à mener et n’aurait pu se faire qu’à très long terme. Mais la raison principale, c’est que je me suis aperçu qu’il était plus important de faire une espèce de cours 101 sur la Colombie que de montrer une histoire trop personnelle."

Vous présentez des images fortes et émettez des thèses accablantes. Cela vous a-t-il valu des menaces ou quelques ennuis en cours de tournage?

"Non, pas du tout. J’ai toujours eu l’habitude de jouer franc jeu. Quand je rentre dans une plantation de coca avec ma caméra, par exemple, je pense que mes intentions sont claires. Je suis un journaliste, je ne joue pas les James Bond. En Colombie, ça marcherait difficilement. À la campagne, tout se sait rapidement. Impossible de passer incognito plus d’une soirée."

Les problèmes actuels en Colombie trouvent leur source dans la répartition inégale de la richesse. La population des campagnes est en quelque sorte laissée-pour-compte…

"C’est mathématique, cette histoire-là. Je m’explique. Au Québec, on a acheté la paix de la campagne en créant des quotas pour le lait, des subventions et en garantissant les prix en donnant des assurances récoltes. Remarquez, les fermiers n’en travaillent pas moins comme des dingues et leurs profits sont ridiculement bas. En Amérique latine, en Colombie principalement, il n’y a rien à ce niveau-là. Le paysan est complètement appauvri. Qu’est-ce qui arrive? Tu as deux options: soit tu prends les armes et tu voles ou te joins à un groupe armé pour défendre tes droits, soit tu quittes la campagne pour aller grossir la population des bidonvilles."

Pourquoi les médias ne mettent-ils jamais cette réalité en relief, préférant généralement associer violence et narcotrafic?

"L’Empire américain a besoin d’un ennemi. Depuis la chute du communisme, c’est la guerre à la drogue qui joue ce rôle. La drogue tue les enfants, tue la famille, elle nuit à la paix sociale. On peut lui attribuer tous les maux. C’est le prétexte parfait. Pour Sociétés sous influence, le documentaire sur les lois prohibitionnistes que j’ai réalisé il y a six ans, j’avais interviewé un agent de la CIA. Celui-ci disait qu’à son entrée en service, en 1975, il existait trois agences de lutte à la drogue. En 2000, il y en avait 64. C’est une source d’emploi extraordinaire."

Les Colombiens se rendront aux urnes en mai 2006. Le président Álvaro Uribe vient d’annoncer qu’il briguera un second mandat. Qu’est-ce que vous entrevoyez pour ces élections à venir?

"Je pense qu’il va être réélu, avec une grande majorité, parce qu’il a la machine et l’argent pour le faire. Il a l’argent des paramilitaires. C’est à l’avantage des paramilitaires qu’Uribe soit réélu. Il est en train d’effacer tout leur passé de génocide. De l’autre côté, sur la gauche, il y a deux partis qui, s’ils se mettent ensemble, pourraient créer une opposition solide."

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