Le Silence : Omerta
Le Silence, d’Orso Miret, excelle à intégrer les paysages rugueux de Haute-Corse à un récit grave, beau et vêtu de multiples couches de sens. Sa vedette, Mathieu Demy, nous en parle.
On ne taira pas plus longtemps l’une des rares découvertes faites lors du tumultueux FIFM, l’automne dernier: Le Silence a bien mérité sa sortie en salle. Deuxième long métrage du Corse Orso Miret, le film possède un large éventail de qualités. Parmi lesquelles une grande justesse sur le plan de l’interprétation, une indéniable subtilité en matière de mise en scène et un décor montagnard doté d’une authentique personnalité, planté dans une région formidable et menaçante, choisie par le cinéaste en marge des lieux communs du pays – c’est là où est née sa mère. On cherche un point de comparaison pour situer le climat et tout ce qui vient, c’est Picnic at Hanging Rock, de Peter Weir. Ça vous donne un début d’idée.
Principal protagoniste de l’affaire, Mathieu Demy enfile les vêtements et s’approprie les états d’âme d’Olivier, jeune trentenaire revenu présenter sa patrie à une jolie fiancée (Nathasha Régnier, très bien). Ses vacances s’écoulent paisiblement en visites familiales et en parties de chasse avec de vieux camarades. Jusqu’au jour où Olivier est témoin d’un meurtre. D’où dilemme, vu les origines croisées du bonhomme, moitié corse, moitié continental. Respectera-t-il la loi du silence ou dénoncera-t-il le coupable, au risque de se voir frappé d’ostracisme?
Rencontré lors d’une visite éclair effectuée pendant le FIFM, le comédien Mathieu Demy est revenu sur son expérience de tournage.
Que vous a enseigné ce film sur la Corse et ses habitants?
"En partageant la vie de ce village, en essayant de mieux comprendre la mentalité de cette culture qui est très forte, on se fait une autre vision de la loi du silence, qui est beaucoup plus juste, culturelle. On s’aperçoit que c’est une extension du domaine du cercle familial. C’est-à-dire que ce n’est pas qu’une histoire de menace. Justement, l’aspect menace, c’est l’aspect "clichétique" qui est représenté au cinéma. L’envie de protéger ses pairs vient d’une manière différente de concevoir la famille. Une autre conception du concept de proximité."
Comment le film a-t-il été reçu en Corse?
"Très bien. On a fait une avant-première à Bastia, avec un débat passionnant. Les gens étaient passionnés par le sujet. Forcément, ça les touche. Dans toutes les familles corses, il y a toujours quelqu’un qui, un jour où l’autre, a été confronté à une situation non pas identique, mais à une certaine forme de dilemme concernant l’omerta. Le film aborde le sujet d’une manière très fine. Ce n’est ni provocateur, ni complaisant. Le fait qu’Orso soit Corse donne évidemment toute sa légitimité au film.
Il y a un Français d’origine algérienne qui a dit, lors d’un débat: "Je comprends très bien le dilemme d’Olivier, il est déchiré entre deux cultures. Moi, en tant que Français magrébin, quand je retourne en Algérie, j’ai exactement le même truc. C’est-à-dire que je vois les gens, mais je ne suis pas comme eux." Ça nous a fait plaisir d’entendre ça. Ça veut dire que le film dépasse le problème corse. C’est un film sur l’identité. Et sur comment on définit son identité par rapport au groupe social."
Comment avez-vous abordé ce personnage tout en intériorité, qui s’exprime beaucoup par le regard, par le non-dit?
"Le rôle ne posait pas de problème particulier, si ce n’est que c’est toujours plus difficile de ne pas s’appuyer sur le texte. Mais c’est aussi plus intéressant. Orso dirige très bien, il avait une idée très, très précise de ce qu’il voulait. On était vraiment synchrones pour ce coup-là. On a vraiment fait le même film."
Parlez-nous de ce village de Haute-Corse qui sert de décor au récit…
"La géographie de ce village est très oppressante. Il y a une route qui monte et qui arrive à une station de ski. C’est la fin. Tu es obligé de redescendre. C’est un cul-de-sac. En plus, il n’y a aucune perspective visuelle. Tout de suite, c’est la montagne. Il y a des gens qui ont eu des réactions très fortes en arrivant, qui étaient paniqués. Il y a quelque chose effectivement d’assez tendu. Orso a vraiment trouvé une adéquation entre son sujet, le lieu et la musique."
Le film laisse passablement d’espace aux rêves, ou cauchemars, faits par Olivier. Quel rôle remplissent ces séquences oniriques?
"Je pense qu’elles ajoutent à son trouble. Ces scènes racontent que la conscience d’Olivier ne le laisse pas tranquille, elles ajoutent à son oppression. Plastiquement, elles sont assez réussies. Ça ajoute aussi à l’étrangeté du film. Un film intimiste qui n’est pas un peu étrange, c’est quand même pas tout à fait honnête."
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