Histoire de famille : Jeunesse d'hier et d'aujourd'hui
Cinéma

Histoire de famille : Jeunesse d’hier et d’aujourd’hui

Avec Histoire de famille, Michel Poulette convie le spectateur à revivre l’une des plus stimulantes pages de notre histoire, la Révolution tranquille, à travers le destin d’un clan tricoté serré, les Gagné. Le réalisateur et l’acteur Sébastien Huberdeau, qui incarne le mouton noir de la famille, nous parlent de cette époque.

Montréal, 2005. Julie (Maxim Roy) tombe sur un roman de Jean Calixa (Serge Thériault) dans lequel elle croit reconnaître l’histoire de sa famille. Après quelques réticences, l’auteur dévoilera les rapports entre fiction et réalité. C’est alors que nous est racontée l’histoire des Gagné, une famille qui verra ses idéaux bousculés au moment où le Québec vivra sa révolution qu’on a qualifiée de tranquille, de 1960 à 1976.

Lorsqu’on lui demande de parler de cette époque qu’il a bien connue, Michel Poulette se fait intarissable. Tout au long du film, on ressent cette passion qu’il a pour les années 60 et 70. Un vieux rêve que caressait cet ancien archiviste de Radio-Québec que de transposer cette époque à l’écran?

"Absolument! Tout le monde est fasciné par sa jeunesse, admet le réalisateur, d’autant plus que cette jeunesse-là est celle de la Révolution tranquille. Comme adolescent, tu avais la chance d’avoir comme modèles les Beatles et les chansonniers québécois, toute l’époque était traversée par le mouvement peace and love. Juste sur le plan visuel, on se décantait complètement de nos parents. C’était de bien belles années et, dans mon cas, c’est l’époque où j’ai découvert le cinéma grâce à un professeur de civilisation grecque. Ce qui est intéressant avec le recul, c’est qu’au lieu de se regarder le nombril, on arrive à parler d’une époque en général et de plusieurs individus plutôt que d’un seul."

DOUCE NOSTALGIE

Ce beau rêve a bien failli ne jamais se réaliser. De fait, au départ, Poulette avait été approché pour faire une télé-série devant se dérouler en France. Après quelques discussions, il convainc les producteurs de faire une télé-série québécoise. C’est ainsi que verra le jour Histoire de famille, d’après une idée de Guy Fournier et un scénario de Normand Canac-Marquis, également l’interprète du bon médecin de famille, télé-série de cinq épisodes à l’origine que l’on verra au grand écran dans sa version écourtée de 2 h 40.

Celui qui souhaite tourner un projet relié à l’assassinat de John Lennon avoue qu’il voulait que des gens de plus de 50 ans s’impliquent dans l’écriture afin de ne pas offrir une version idéalisée ou romantique de la Révolution tranquille: "Ce n’est pas que je ne faisais pas confiance à de plus jeunes auteurs, mais il y a plein de gens intéressants qui ont connu cette époque et qui ne seront plus là pour en parler dans une vingtaine d’années. Je voulais trouver la véracité de quelqu’un qui a vécu à cette époque. C’est à ce moment qu’est arrivé Guy Fournier, et son idée de petite fille leucémique (Juliette Gosselin, puis Évelyne Rompré) qui déménage de la campagne à Montréal. Cela nous permettait à la fois d’aborder la différence entre la ruralité et l’urbanité, et de montrer une époque où l’assurance-maladie n’existait pas – cela pouvait ruiner des familles pour des générations."

LE RÉVOLTÉ TRANQUILLE

Dans Histoire de famille, Sébastien Huberdeau incarne Michel, fils cadet et mouton noir des Gagné, celui que sa petite amie, la felquiste Thérèse (Bénédicte Décary), qualifie de révolté plutôt que de révolutionnaire: "Mon personnage est en soi une confrontation, explique l’acteur à quelques jours d’aller tourner sous la direction de Pierre Houle, il incarne cette époque qui se redéfinit et qui se cherche, qui cherche à contester l’autorité en place, les idées préconçues, qui cherche à foutre dehors les traditions et à redéfinir cette idée de liberté. Michel n’est pas un cérébral, c’est un viscéral et un romantique; ce n’est pas quelqu’un qui est là par idéologie mais plus par pulsion de contester l’autorité, dans ce cas-ci, la famille, la première cellule sociétale dans laquelle on vit. Il conteste par besoin de se repositionner dans le monde et dans sa famille; c’est de cette façon qu’il arrive à fricoter avec des gens qui agissent plus par philosophie ou idéologie. Il arrive à cela un peu par accident ou par un concours de circonstances, ce qui le rend encore plus honnête. Ce qui m’a attiré chez Michel, c’est sa tendresse et sa sensibilité; c’est aussi un homme entouré de femmes fortes."

Âgé de 26 ans, l’acteur connaît la Révolution tranquille surtout grâce aux récits de ses parents et par sa musique qu’il a découverte dans sa jeunesse. Selon lui, les baby-boomers n’auraient-ils pas idéalisé cette époque? "On ne peut pas démystifier ce qu’on n’a pas au départ idéalisé, avance le comédien, et c’est peut-être là le bon côté de la chose: on est en train de démystifier une époque qui a été nécessaire, que ce soit ici ou ailleurs. Comme le disait le sociologue John Saul, les années 60, pour le Québec et pour l’Occident, ont été à la fois une période d’ouverture et d’éclatement et une époque de circonscription et d’étroitesse. C’est-à-dire qu’il a fallu catégoriser les choses, situer ceci et cela: t’es à gauche ou t’es à droite. Comme dans n’importe quoi, quand un fondamentalisme se met à faire partie de l’équation, il y a fermeture; t’as beau être à l’extrême gauche, t’es fermé à l’autre extrême, au centre, il n’y a pas de place pour la modération."

Que représente donc cette époque pour les gens qui en sont issus? "Pour moi, les gens se sont ouverts dans les années 60, mais il y avait aussi une fermeture à la différence: t’étais flower power ou beatnik pour être dans la jeunesse, si tu n’étais pas ça, tu n’avais rien compris et tu étais dans la marge. Notre existentialisme, c’est dans les années 60 que nous l’avons vécu! Avant cela, il y avait eu des inspirateurs, Jean Lesage n’est pas sorti d’un chou! Une société, ça n’évolue pas du jour au lendemain; personne ne se lève un beau matin en se disant qu’il va changer le monde. Aujourd’hui, grâce aux communications, on peut savoir tout ce qui se passe dans le monde; il y a 40 ans, c’était de la fiction, tu ne te sentais concerné que par ce qui se passait chez ton voisin. Aujourd’hui, rien ne nous concerne plus et tout nous concerne en même temps. Donc, pour moi, c’est une époque où le monde a commencé à se complexifier."

Enfin, qu’est-ce que les jeunes générations peuvent retirer de ce voyage dans le temps? "Il s’est passé une révolution que l’on pourrait qualifier de planétaire, où le Québec est sorti de sa bassinnette pour se donner les moyens de ses ambitions, soit devenir une société libérale et moderne. Durant la Grande Noirceur, le Québec était un État policier à cause de la position de l’Église; les années 60 ont apporté ce levier pour que le Québec se démocratise une fois pour toutes. En se donnant cet outil, le Québec a pu devenir moderne et s’ouvrir à l’humanisme. Il existe beaucoup de documentaires sur la Révolution tranquille, mais avec Histoire de famille, on tire comme leçon que dans la vie, ce qui est important, c’est la famille, les amis et l’amour des autres", de conclure Sébastien Huberdeau.

En salle dès le 27 janvier