Le Soleil : Éclipse solaire
Dans Le Soleil, Alexandre Sokourov jette un éclairage diffus mais fascinant sur les tourments intérieurs de l’empereur Hirohito. Impressionnant portrait du souverain en temps de guerre.
Mi-août 1945. Une bombe A est tombée sur Hiroshima. Une autre a anéanti Nagasaki. Le Japon, s’il a vraisemblablement perdu la guerre, refuse de capituler. Dans l’espèce de casemate qu’il occupe au sous-sol du palais impérial, l’empereur Hirohito (Issey Ogata, excellent) picore son petit-déjeuner. Le regard hagard, les lèvres agitées par un tic persistant, Sa Majesté n’a pas l’air de tenir la forme olympique.
Pourtant, l’horaire de la journée est chargé et Hirohito, aiguillé par son chambellan, entreprend de s’y plier. Rencontre au sommet avec ministres et conseillers; cours pratique de biologie maritime – son dada – avant le dîner; sieste en après-midi… Or, le programme sera interrompu par l’arrivée intempestive de l’armée américaine.
Mandé par le général MacArthur (Robert Dawson), l’empereur revêt ses habits de soirée et se laisse conduire jusqu’au QG yankee. À son retour, le souverain décide de renoncer à son statut divin et se convainc que l’heure de la reddition est venue.
Troisième volet d’un triptyque comprenant déjà les remarqués Moloch ("consacré" à Hitler) et Taurus (s’intéressant à Lénine), Le Soleil peint un portrait intimiste et troublant de l’empereur Hirohito au moment où sonne le glas.
Tantôt semblable à l’enfant perdu dans un rêve éveillé, tantôt proche du vieillard usé par le temps, Hirohito paraît flotter au-dessus des contingences guerrières jusqu’à ce qu’il conçoive une vision apocalyptique (Tokyo bombardée par des poissons-chats, image formidablement prégnante), qui renseigne d’habile manière sur ses états d’âme.
Cette séquence délirante constitue l’élément le plus éclaté d’un film qui travaille principalement à mettre en scène l’implosion de son personnage central. Dans l’atmosphère régnant sur des lieux étouffants, la lumière fade ou exagérément crue éclairant les visages, les ambiances sonores suggérant des acouphènes crachés par un transistor diffusant de l’au-delà, le spectateur découvre les stimuli d’un monde qui aurait renoncé au lendemain.
Bien qu’il respecte une trajectoire relativement linéaire, le scénario se ménage tout de même une part de mystère. Les dialogues, quelquefois allusifs ou encore marqués du sceau d’une poésie cryptique, se tiennent à bonne distance de la recréation docu-historique. De fait, ses zones d’ombre, parfaitement assumées, Le Soleil les met à profit pour mieux briller. Fort.
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