Gabrielle : Chronique d'une rupture annoncée
Cinéma

Gabrielle : Chronique d’une rupture annoncée

Avec Gabrielle, Patrice Chéreau signe le cruel portrait d’un couple qui ne s’aime pas. Entretien avec le cinéaste rencontré au Festival de Toronto.

Dans Gabrielle, adaptation de la nouvelle Le Retour d’Arthur Conrad, on sent très souvent la présence du metteur en scène de théâtre derrière la caméra tant l’ensemble se révèle parfois rigide. Par endroits, ce sont les origines littéraires du récit qui transparaissent à l’écran alors que Patrice Chéreau se sert de la voix off et d’intertitres, dont le dernier tombera comme un couperet, afin d’accélérer le récit. Sans doute par caprice – le cinéaste n’a jamais voulu nous expliquer ses choix, prétextant qu’il n’était pas le premier à le faire et citant le Happy Together de Wong Kar-Wai à titre d’exemple -, le réalisateur d’Intimacy, où il traçait au scalpel une liaison extraconjugale, alterne de façon arbitraire entre le noir et blanc et la couleur, sans que cela ajoute quoi que ce soit au déroulement de l’histoire ou à l’atmosphère étouffante de ce sombre huis-clos.

Toutefois, la caméra se fait fluide lorsqu’elle s’infiltre dans les soirées mondaines données par monsieur et madame; par moments, on se croirait dans une illustration vivante de l’univers de Proust décrivant de son regard clinique la bourgeoisie du début du XXe siècle. Plus loin, alors que l’on comprend que le couple formé par le fiévreux Pascal Greggory, qui assure aussi la narration de sa belle voix chaude et grave, et la glaciale Isabelle Huppert cache sous ses apparences hautaines une profonde insatisfaction, c’est au Bergman de Scènes de la vie conjugale que l’on songe, faisant de Gabrielle un drame à la fois universel et intemporel.

De fait, une fois les invités partis et les bonnes tapies derrière les portes mi-closes, les Hervey, mariés depuis 10 ans, se livrent à un duel d’une grande cruauté au cours duquel ils réaliseront qu’ils ne se sont jamais aimés. Une joute verbale où la parole se fait aussi élégante qu’incisive, où une Huppert brille comme un diamant noir face à un Greggory au sommet de sa forme. Une scène de ménage bourgeois qui prouve une fois de plus que Chéreau est le maître incontesté de l’autopsie des âmes meurtries. Du grand art.

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Vous semblez prendre un plaisir cruel à disséquer les couples…

Patrice Chéreau: "Non, ce n’est pas seulement du plaisir; j’ai envie de comprendre. Depuis que le monde existe, les hommes et les femmes se mettent en général à deux pour vivre, pour un temps indéfini, selon des modes qui semblent montrer qu’ils sont incapables de vivre absolument seuls, et pas seulement pour faire des enfants comme on le croyait autrefois, mais pour passer un bout d’une vie à deux. Et ça pose des problèmes noirs, si j’ose dire. Donc, je n’ai ni plaisir ni déplaisir et ce n’est jamais cruel… Je vois que les gens sont cruels entre eux et je vois aussi qu’ils n’y trouvent pas de plaisir. Alors, j’essaie de m’interroger là-dessus, ne serait-ce que pour moi et parfois pour les autres."

Vous illustrez un milieu mondain où l’on porte facilement un masque.

PC: "Oui, mais ce n’est pas parce que ça se passe en 1912 et qu’il s’agit d’une société mondaine; toute personne de nos jours porte un masque dès le moment où elle ne veut pas souffrir ou ne rien donner à l’autre. Les histoires de couples sont éternelles, mais l’époque rend le masque plus visible."

Et rend la chute du personnage encore plus vertigineuse.

PC: "Lorsqu’on lit la nouvelle, on voit les 50 pages culminer sur cette dernière phrase. Conrad s’est donc intéressé à la névrose de cet homme jusqu’au point de destruction."


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