Que Dieu bénisse l'Amérique : Amère América
Cinéma

Que Dieu bénisse l’Amérique : Amère América

Que Dieu bénisse l’Amérique, fable noire aux accents surréalistes de Robert Morin, met en scène six banlieusards en quête de quiétude au matin du 11 septembre 2001, alors qu’un prédateur sexuel vient d’être relâché et qu’un tueur en série rôde dans les parages. Rencontre avec le réalisateur et l’actrice Sylvie Léonard.

Choyée par la télé et le théâtre, Sylvie Léonard semble avoir été quelque peu négligée par le cinéma – mauvais timing dans certains cas -; ainsi, lorsqu’elle a appris que le cinéaste Robert Morin souhaitait travailler avec elle, la comédienne n’a pas hésité à plonger dans l’univers de banlieusards tordus de Que Dieu bénisse l’Amérique. "Ç’aurait été étonnant que je lise le scénario et que je dise: "Non, ça ne m’intéresse pas, il n’a rien à dire, ce bonhomme-là"", lance à la blague celle qui interprète Angéla di Palma, épouse fugueuse et neurasthénique du policier Sylvain Sigouin (Patrice Dussault), bras droit de Maurice Ménard (Gildor Roy), principal enquêteur sur l’affaire du tueur de prédateurs qui sévit dans leur banal quartier de Laval.

Film choral fantaisiste où évoluent des personnages opaques au premier abord, Que Dieu bénisse l’Amérique est une fable sur l’individualisme d’où émane un climat de paranoïa: "Lorsqu’on s’en va dans une direction, avance Sylvie Léonard, on perd peut-être le monde de l’autre direction. Aujourd’hui, on vit dans une société où l’on a peur d’assister à un quelconque crime et où l’on a peur d’intervenir, cela provoque en nous la terreur d’une réalité où le monde est à l’envers – une vieille dame m’a déjà insultée parce que je lui avais offert ma place dans l’autobus! On a perdu nos repères dans cette société malade dans laquelle on vit, d’abord parce qu’on a déresponsabilisé les gens en leur donnant des droits. Je ne dis pas que l’on devrait revenir vers la droite, mais en allant tellement à gauche avec les droits – alors que l’on devrait parler beaucoup plus de privilèges et de devoirs -, on déresponsabilise l’individu. Lorsqu’on quitte la gauche, on s’en va trop à droite, et vice versa, c’est difficile de trouver le centre. Je trouve que ce film-là traduit bien cet excès; il faudrait aider les autres, mais en même temps, on a tellement peur qu’on tombe dans l’autre excès et l’on finit par s’isoler."

Robert Morin poursuit: "L’individualité poussée à l’extrême a fait de nous des coupables. Graduellement, il se crée quelque chose de magique dans le film qui ne s’est pas passé au lendemain du 11 septembre, mais pour une fois, je voulais faire en sorte que Meursault, personnage de L’Étranger de Camus, ne soit pas une victime existentialiste affaissée. Je voulais que mes personnages, au départ existentialistes, aient du spring, prennent leur existence en main. Bien sûr, c’est irréaliste, mais c’est agréable de faire de l’utopie parfois, de sortir de la noirceur. Je me suis dit que ça allait être tellement irréaliste que ça allait ressembler à une fable de La Fontaine."

LA MORALE DE L’HISTOIRE

Le temps d’un film, Morin s’est donc fait fabuliste, histoire de se renouveler, de ne pas s’encrasser dans le genre: "Avec Petit Pow! Pow! Noël, poursuit le réalisateur, j’ai commencé à mettre des petites lumières au bout du tunnel, pas des gros spots, là. À la fin du film, on est encore dans le clinquant, mais c’est tout de même un petit pas pour le banlieusard et un grand pas pour l’humanité. C’est bien qu’il y ait une forme d’espoir et d’apaisement en bout de ligne. Si j’avais fait mon film de façon réaliste, on m’aurait accusé de faire de la pensée magique. J’assume donc la fable et la fantaisie."

Mais qui dit fable, dit morale. Pour une actrice, n’est-ce pas exigeant que d’endosser la morale d’un autre? "C’est ça qui est intéressant avec les films de Robert Morin, de répondre Léonard. Je pense qu’en général, l’art devrait amener une réflexion, ne devrait pas être que du divertissement. Je me donne comme mandat d’essayer de faire bouger les choses. Je dis toujours qu’on devrait sortir de tout événement culturel un petit peu moins niaiseux. Le cinéma devrait avoir cette responsabilité."

Pour Robert Morin, cinéaste engagé et indépendant, le cinéma peut certes brasser la cage, mais il ne veut pas qu’on oublie qu’il est aussi un art. À cette fin, le cinéaste s’amuse avec des procédés classiques qu’il traite de façon fantaisiste, tel ce narrateur omniscient géant et ces bulles flottantes où apparaissent les personnages au bout du fil: "Il y a quelque chose de ludique dans le cinéma, c’est l’fun de jouer avec les genres – Le Nèg’ en est un exemple, c’est un film noir très ludique. C’est quelque chose que j’ai toujours fait; on reconnaît les codes, mais en même temps, c’est flou. Ce dont je suis le plus fier dans mes films, c’est le ton. Avant toute chose, un film, c’est un ton, une façon de communiquer. Dans Que Dieu bénisse…, on est dans le doux-amer, pas très loin du cynisme et frôlant l’absurde. Le ton accroche et déstabilise; on sent que le gars des vues est là parce que le film ne se déroule pas sans heurt."

Alors qu’une célèbre criminelle vit parmi nous et qu’un autre agresseur sexuel non moins connu sera bientôt relâché, Que Dieu bénisse l’Amérique s’ancre malgré lui dans l’actualité en tendant un miroir déformant de notre société: "Je n’ai pas vu mon film sous cet angle-là, mais nous vivons dans une société extrêmement médiatisée. La tragédie de New York n’a pas donné ses leçons; si ça se trouve, le New-Yorkais qui distribuait des câlins le lendemain donne de l’argent au parti républicain aujourd’hui pour envoyer des soldats en Irak. En fait, pour moi, Que Dieu bénisse…, c’est un combat entre l’individualisme et l’amitié. Et pour une fois, c’est l’amitié qui triomphe… et c’est là où mon film s’éloigne de la réalité, car au lendemain du 11 septembre, on s’est mis à multiplier les Ben Laden au lieu d’essayer de les comprendre. En fait, personne n’a vraiment fait son examen de conscience", conclut Robert Morin.


En salles le 17 février