Regard sur le cinéma sud-coréen : Une certaine tendance
Cinéma

Regard sur le cinéma sud-coréen : Une certaine tendance

La Cinémathèque présente Regard sur le cinéma sud-coréen jusqu’au 9 mars, une rare rétrospective, de 1960 jusqu’à nos jours, de cette cinématographie méconnue. Entrevue avec la programmatrice invitée, Mi-Jeong Lee.

Avec des réalisateurs comme Kim Ki-duk (Printemps, été, automne, hiver… et printemps), Park Chan-wook (Oldboy) et Lee Chang-dong (Oasis), le cinéma de la Corée connaît une "nouvelle vague" qui déborde ses frontières. Mi-Jeong Lee, qui fait découvrir le cinéma sud-coréen aux Montréalais notamment grâce à son implication dans Fantasia, explique: "La nouvelle vague du cinéma coréen a débuté avec la production en 1999 du film Shiri. L’industrie coréenne du cinéma a alors complètement basculé. C’était la première fois qu’on mettait tant d’argent dans un film, autant que dans certaines productions hollywoodiennes. Ce film, qui a connu un immense succès au box-office, a été distribué au Japon puis aux États-Unis. Les réalisateurs coréens se sont alors ouvert les yeux et se sont rendu compte qu’ils pouvaient vendre des films à l’extérieur de la Corée. Depuis, les budgets ont augmenté et la vague ne cesse de déferler. Cette vague s’exprime aussi dans la musique pop, les séries télévisées et les vedettes coréennes, autant de produits culturels qui sont exportés au Japon, en Chine, au Vietnam, à Hong Kong, à Singapour, bref, dans toute l’Asie de l’Est. Même qu’aujourd’hui, la Chine et Hong Kong se demandent comment résister à la vague."

D’où nous vient cette nouvelle vague?

"À la fin des années 80, les Coréens qui ont étudié le cinéma à l’étranger sont revenus au pays. Ils ont fait la synthèse du savoir-faire occidental et des thèmes traditionnels coréens. C’est pourquoi les Orientaux comme les Occidentaux peuvent regarder et comprendre sans difficulté le cinéma coréen. À la même période, le gouvernement de Kim Dae-jung a permis une plus grande liberté d’expression artistique, entravée qu’elle était par des décennies de dictature militaire. Autre facteur, le système de quotas prévoit l’obligation pour les salles de cinéma de projeter pendant 146 jours des films produits au pays. C’est ce qui explique que présentement, les films coréens attirent près de 60 % de l’auditoire en salle. Mais cette mesure de protection est en péril. Le gouvernement vient en effet d’annoncer son intention de réduire de moitié les quotas de diffusion."

Comment a réagi l’industrie?

"Depuis plusieurs années, il est question de réduire ces quotas au nom de la bonne entente commerciale avec les États-Unis. C’est pourquoi l’industrie s’est mobilisée pour rappeler au gouvernement de ne pas toucher au système. À la suite de cette annonce, le mouvement de protestation s’est amplifié, allant jusqu’à des manifestations quotidiennes menées par des réalisateurs et des acteurs. Les Allemands, les Français ainsi qu’une coalition internationale défendant la diversité culturelle soutiennent notre lutte pour le maintien du système de quotas. Ce qui n’est pas le cas de la majorité des Coréens eux-mêmes, qui, malheureusement, se rangent derrière le gouvernement. Le système de quotas a fait ses preuves ailleurs, comme au Brésil, en France et en Angleterre. Quand on le supprime, on assiste à ce qui vient de se passer au Mexique, qui a ouvert son marché au cinéma hollywoodien, c’est-à-dire à la destruction complète d’un cinéma national."

Quels sont les films que vous avez sélectionnés pour cette rétrospective à la Cinémathèque?

"D’abord deux classiques de la cinématographie coréenne qui datent des années 60, l’un des âges d’or du cinéma coréen. Nulle part au Canada, ni même dans les classes de cinéma, peut-on voir ces chefs-d’oeuvre. C’est seulement la deuxième fois, je crois, qu’on pourra les voir ici. Pour les autres films, j’ai choisi les meilleurs parmi la collection du Service culturel coréen à New York. On peut les classer en quatre genres: cinéma d’art et d’essai (Peppermint Candy, The Day a Pig Fell Into the Well), thèmes contemporains (The Age of Success, 3-Iron, 301, 302, Hot Roof), mélodrame (My Mother and the Guest in the Master’s Room, The Story of Two Women, Christmas in August, Death Song) et famille (Oseam)."

On remarque une violence exacerbée dans plusieurs films coréens. Est-ce une des caractéristiques du nouveau cinéma de la Corée?

"Si vous regardez les films hollywoodiens, ils sont très violents. C’est une violence par les fusils, donc très rapide, sans émotions. Dans le cinéma japonais, on tue d’une manière qui devient ridicule, presque risible. Celui de Hong Kong a adapté le style hollywoodien, mais les protagonistes ne meurent jamais. Par comparaison, la violence dans le cinéma coréen est filmée de façon plus réaliste. On peut presque y sentir la douleur. En général, notre cinéma est plus réaliste que d’autres. Cela se reflète dans les comédies, les mélodrames et même les films d’horreur, qui traitent toujours de certains enjeux sociaux. Vous savez, les Coréens sont appelés les "Italiens de l’Asie" parce que nous sommes très passionnés, très expressifs."

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QUELQUES TITRES À SURVEILLER

Mother and Her Guest in the Master’s Room de Shin Sang-ok (1961)

Dans ce charmant huis clos mélodramatique raconté à hauteur d’une fillette de six ans, une jeune veuve voit sa vie monotone bouleversée par l’arrivée d’un artiste de Séoul en qui la rusée fillette verra l’occasion pour sa mère de refaire sa vie. Une fine dénonciation de l’oppression des femmes à l’époque où le confucianisme était encore l’idéologie dominante. (M.D.)

Spring in My Hometown de Lee Kwangmo (1998)

Campée durant la guerre de Corée, cette chronique relate la vie de deux adolescents issus de milieux différents. Ponctué par de brèves entrées de journal, Spring in My Hometown se présente en longs plans-séquences qui illustrent avec distanciation l’humiliation du peuple coréen par les Américains. (M.D.)

Oseam de Seong Baek-yeop (2003)

Deux orphelins partent à la recherche de leur mère et rencontrent deux moines qui les initient au bouddhisme, par lequel la mère, morte, sera retrouvée. Première canadienne de ce conte zen, récipiendaire du Cristal du long métrage au Festival international du film d’animation d’Annecy 2004. (K.S.L.)

3-Iron de Kim Ki-Duk (2004)

Bien étonnante, cette histoire d’amour muette entre un squatteur à la recherche de maisons vides et une femme enfermée dans une maison vide. Il se dégage de ce film des moments de bonté, celle avec laquelle deux inconnus meurtris s’accueillent, et de sérénité, que permet de retrouver un sommeil dans un havre de paix bouddhiste. Lion d’argent du meilleur réalisateur au Festival du film de Venise 2004. (K.S.L.)